Diplomatie, emplois… Pourquoi les Etats-Unis ont tout à perdre

Diplomatie, emplois… Pourquoi les Etats-Unis ont tout à perdre

Après des mois de tergiversations, Trump a tranché. Pas de statu quo, ni de révision des ambitions, mais une sortie pure et simple de l’accord de Paris. Contenir le réchauffement climatique sous le seuil des 2° C sera forcément plus difficile après le retrait du deuxième plus gros émetteur de gaz à effet de serre, mais pas impossible. Les Etats-Unis et Trump lui-même ont finalement bien plus à perdre en se retirant.

Isolement diplomatique

Grand absent des conclusions des sommets du G7 et du G20 pendant des décennies, le changement climatique «est devenu un sujet central» de la diplomatie internationale, décrivait à Libération (édition du 20 et 21 mai) David Waskow, du think thank américain World Resources Institute. A l’issue du G7 à Taormine (Sicile) les 25 et 26 mai, les dirigeants des grandes puissances ont ainsi réaffirmé dans la déclaration finale leur engagement en faveur de l’accord de Paris. Tous, à l’exception de Trump. Ce qui a amené Angela Merkel, la chancelière allemande, à qualifier la discussion sur le climat de «très insatisfaisante». «L’époque où nous pouvions entièrement compter les uns sur les autres est quasiment révolue. C’est mon expérience de ces derniers jours», a-t-elle déclaré dimanche lors d’un meeting à Munich.

«Si l’Amérique ne veut pas jouer le jeu après tant d’années de négociations, il y aura certainement des conséquences diplomatiques qui iront bien au-delà du climat, notamment lorsqu’il s’agira de trouver des alliés sur tel ou tel sujet», confie David Levaï, directeur du programme climat à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Les liens entre sécurité et changement climatique sont par exemple de plus en plus documentés. Le 22 mai, l’Otan a d’ailleurs inscrit le changement climatique comme une «préoccupation stratégique» pour l’alliance. Alors que le locataire de la Maison Blanche a promis de vaincre «le terrorisme islamique radical», un rapport publié en octobre 2016 par le think tank allemand Adelphi estime que le changement climatique favorise le développement des groupes terroristes.

«George W. Bush avait déjà souffert à l’international de son refus de ratifier le protocole de Kyoto [le précédent accord de réduction des émissions de gaz à effet de serre signé en 1997 et entré en vigueur en 2005, ndlr], les conséquences aujourd’hui seront encore plus fortes», poursuit David Levaï. Les derniers grands rendez-vous internationaux ont donné le ton. Alors que planait la menace d’un retrait américain lors de l’intersession en mai de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le mois dernier à Bonn, les 195 Etats avaient réitéré leur volonté d’adopter des mesures ambitieuses pour lutter contre le changement climatique. Avec ou sans les Etats-Unis. Et en parallèle de l’annonce de Trump, l’Union européenne et la Chine vont lancer, lors d’un sommet commun à Bruxelles, ce vendredi, une nouvelle alliance verte. Pékin et Bruxelles se sont accordés sur un panel de mesures visant à concrétiser le «succès historique» de l’accord climatique de Paris et accélérer l’abandon «irréversible» des énergies fossiles.

Economie du passé

Alors que le secteur des énergies renouvelables est en plein boom dans le monde, dopé par la signature de l’accord de Paris en 2015, les Etats-Unis ont, eux, déjà enclenché la marche arrière. Pour le patron de l’Agence de protection de l’environnement, Scott Pruitt (nommé par Trump), l’accord de Paris est «mauvais» et va pénaliser les Etats-Unis en termes d’emplois. Faux, rétorque le dernier rapport de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, publié le 24 mai : le secteur des énergies renouvelables représentait 9,8 millions d’emplois dans le monde en 2016. Soit une augmentation de 40 % depuis 2012, date du premier décompte. L’an dernier, 777 000 Américains travaillaient dans ce secteur. Rien que dans l’industrie solaire, les emplois dans le photovoltaïque ont augmenté de 25 % en un an, pour atteindre les 242 000 salariés. En comparaison, le secteur du charbon en employait seulement 160 119, selon un rapport du département de l’Energie, publié en janvier.

Peu importe pour Trump, qui a d’ores et déjà signé un décret visant au démantèlement du Clean Power Plan pour relancer «le magnifique charbon propre». Mesure phare de la présidence Obama, il imposait aux centrales électriques de réduire de 32 % leurs émissions de CO2 d’ici 2030, conformément aux engagements pris lors de l’accord de Paris en 2015. Et promouvait le développement des énergies renouvelables, au détriment du charbon. Sauf que les plus importantes pertes d’emplois dans le secteur sont antérieures à l’adoption du Clean Power Plan. Elles s’expliquent par l’amélioration des techniques d’extractions, qui nécessitent moins de main-d’œuvre, et par la concurrence de plus en plus rude avec le gaz naturel, bien moins cher (lire page 6 et 7). A contrario, le Clean Power Plan aurait, selon l’administration Obama, permis l’essor de la création d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables.

Durant les périodes de faible consommation nationale, les Etats-Unis pouvaient encore compter sur les exportations à l’étranger, particulièrement en Chine. Mais l’empire du Milieu, premier émetteur de gaz à effet de serre devant les Etats-Unis, a négocié le virage de la transition énergétique, loin de ses postures qui avaient empêché un deal lors de la COP 15 de Copenhague. Cinq ans plus tard, lors de la COP 21 qui a conduit à l’accord de Paris, Pékin a donc préféré mettre en avant les questions de sécurité énergétique, de santé publique et de périls environnementaux. La Chine s’est donné pour objectif de réduire «l’intensité carbone par unité de PIB» de 60-65 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005, et de passer la part des énergies non fossiles dans la consommation d’énergie primaire à environ 20 % d’ici à 2030. En 2016, pour la troisième année consécutive, la Chine a enregistré une baisse (- 4,7 %) de sa consommation de charbon. Et le pays comptabilisait le plus grand nombre d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables, avec 3,46 millions de personnes (+ 3,4 %). Alors que Pékin suffoque, le président Xi Jinping a prévu d’investir 361 milliards de dollars (323 milliards d’euros) dans l’électricité à base de renouvelables d’ici à 2020, avec à la clé 13 millions de nouveaux emplois. De son côté, l’Inde compte elle aussi augmenter la capacité d’énergie renouvelable, à 175 GW d’ici à 2022.

Des investissements qui payent. Selon le baromètre Renewable Energy Country Attractiveness Index, publié lundi par le cabinet d’audit EY, la Chine et l’Inde ont pris la tête des pays les plus attractifs en matière d’énergies renouvelables, dépassant pour la première fois les Etats-Unis. «Une sortie de l’accord de Paris va plus nuire aux Etats-Unis qu’à l’accord en lui-même ou à l’action climatique mondiale, prévenait en avril Nathaniel Keohane, du Global Climate Environmental Defense Fund. Le leadership américain sur le climat est la clé pour attirer des emplois et les investissements dans les industries et les secteurs qui définiront le XXIe siècle.»

Un rapport de l’OCDE, publié le 24 mai, estime en effet que le PIB des pays du G20 gagnerait 2,8 % supplémentaires à l’horizon 2050 grâce à des politiques climatiques cohérentes avec l’accord de Paris. Un argument de poids que les leaders du G7 n’ont pas manqué de faire valoir à Trump à Taormine. En vain.

Trump contre le reste du pays

Un retrait de l’accord sur le climat ne fera qu’accentuer les clivages d’une Amérique déjà divisée. Un sondage de l’Université Quinnipiac (Connecticut) du 5 avril, révèle que 76 % des Américains sont «très ou quelque peu inquiets» du changement climatique et 62 % pensent que Trump ne devrait pas revenir sur les régulations spécifiques à ce sujet. «L’action du gouvernement fédéral, ce n’est pas l’intégralité de l’Amérique», rappelle David Levaï. De fait, plusieurs villes et Etats américains se placent depuis plusieurs années à l’avant-garde dans la lutte contre le changement climatique et ont bien l’intention de continuer à agir, avec ou sans l’appui de l’Etat fédéral. Sur cette question, la Californie, sixième économie mondiale, a depuis longtemps fait sécession. L’Etat de la côte Ouest a, avec ses villes de San Francisco et Sacramento, signé le protocole d’entente «Under 2», où les signataires (des villes, des Etats et des régions du monde entier) s’engagent à réduire d’ici à 2050 leurs émissions de gaz à effet de serre de 80 % à 95 % par rapport au niveau de 1990. Deux fois que les ambitions de l’UE d’ici à 2030… En juin, le gouverneur de Californie, Jerry Brown, assistera à une conférence internationale sur l’énergie à Pékin avec des délégués de près d’une vingtaine de pays, et visitera les provinces des villes de Chengdu et Nanjing, qui font elles aussi partie de la coalition Under 2. En parallèle, New York et Los Angeles font partie du «Compact of Mayors», une coalition des plus grandes agglomérations luttant contre le changement climatique.

Le monde des affaires, entre greenbusiness et réelle prise de conscience, est lui aussi monté au créneau. La raison est simple : l’instabilité planétaire démultipliée par l’impact du changement climatique n’est pas bonne pour les affaires. Le 12 avril, le Business Council for Sustainable Energy, un groupement d’entreprises du secteur des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique et du gaz naturel, a adressé une lettre au secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, pour lui demander de ne pas sortir de l’accord de Paris. Des inquiétudes qui ne travaillent pas seulement le secteur des énergies renouvelables : des géants de l’industrie pétrolière et charbonnière, ardemment défendus par Trump, appelaient eux aussi à un maintien, à l’image d’Exxon Mobil, dont l’ex-PDG n’était autre que… Rex Tillerson. Mercredi, les actionnaires ont approuvé à 62 % la résolution exigeant des «scénarios 2°C». Au total, depuis novembre, un millier d’entreprises et d’investisseurs, dont eBay, Tesla, Ikea ou encore Starbucks, ont signé l’appel «Business Backs Low-Carbon USA» («Les entreprises pour des Etats-Unis bas carbone»). Elles plaidaient elles aussi pour rester au sein de l’accord qui, en plus de lutter contre le changement climatique, créera selon elles des emplois et stimulera la compétitivité des Etats-Unis sur le marché mondial. Selon la Société financière internationale, filiale de la Banque mondiale, les engagements pris lors de l’accord de Paris créeraient des opportunités d’investissement de 23 000 milliards de dollars dans les marchés émergents d’ici à 2030.

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