Au Mali, la peur d’un « vide sécuritaire » après l’annonce du départ de « Barkhane »

Un rassemblement est prévu à Bamako, samedi, pour célébrer le retrait des forces européennes, mais les autorités maliennes n’ont pas encore officiellement réagi.

Le silence. Vendredi 18 février au matin, la junte au pouvoir à Bamako depuis le double coup d’Etat d’août 2020 et mai 2021 n’avait toujours pas réagi à l’annonce du retrait militaire de la France et de ses partenaires européens du Mali faite la veille par le président Emmanuel Macron. Un mutisme qui s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie déployée par les autorités de transition maliennes ces derniers mois pour pousser Paris à annoncer le départ de ses troupes, sans en avoir toutefois jamais clairement formulé la demande.

« A bas la France qui sort par la petite porte », « mission accomplie », « bravo à nos autorités qui ont chassé » « Barkhane » se sont ainsi félicités les membres de Yerewolo, une association réputée proche du pouvoir, lors d’une réunion organisée à son quartier général et diffusée sur les réseaux sociaux. Le mouvement, qui mobilise depuis des mois dans les rues de Bamako contre la présence française et en faveur d’une intervention russe, a appelé à un grand rassemblement samedi 19 février pour célébrer le retrait de « Barkhane ». En attendant, aucune manifestation n’était à signaler dans la capitale malienne, relativement éloignée de la guerre qui mine le nord et le centre du Mali depuis 2012 et a fait plus de 11 700 morts, selon l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled).

A la suite des annonces françaises, le sentiment d’inquiétude était bien plus vif à 1 400 kilomètres de là, à Gao, ville du Nord-Est, voisine de la zone dite « des trois frontières » – à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso, épicentre des violences djihadistes. Alors que la plus importante base militaire de « Barkhane » doit y être démantelée d’ici quatre à six mois, selon Paris, une partie des habitants joints par téléphone disent redouter le pire.

« Les opérations menées avec “Barkhane” et “Takuba” [coalition de forces spéciales européennes sous commandement français] ont permis à l’armée malienne de reprendre confiance dans certaines parties de la région. Dans les zones où nos militaires ne disposaient pas de cet appui, ils sont restés cantonnés et n’ont donc pas pu empêcher les massacres. Demain, quand ces forces auront plié bagage, qui nous protégera ? », s’alarme un habitant de Gao qui a un temps travaillé avec les forces internationales. Sous le couvert de l’anonymat, ce jeune Malien dit craindre que la région ne tombe définitivement aux mains de groupes terroristes qui contrôlent déjà une large partie de la brousse.

Implication croissante de la Russie

D’autres attendent de voir, comme ce commerçant dont les activités s’étendent dans tout le Nord-Est : « En dix ans, la situation sécuritaire n’a fait que se dégrader pour nous, les civils. Il fallait trouver une autre voie. Il faut qu’on prenne en charge notre sécurité avec de nouveaux partenaires comme les Russes. On les attend de pied ferme. »

C’est l’autre grande interrogation après celle du retrait de « Barkhane ». Alors que Bamako œuvre à une implication croissante de la Russie sur le terrain de la lutte antiterroriste, beaucoup, au nord, s’interrogent sur les conséquences qu’aurait une montée en puissance du Groupe Wagner dont près de 800 mercenaires auraient déjà été déployés dans le pays selon nos informations. Habitants comme observateurs redoutent des affrontements entre groupes armés locaux et miliciens russes.

Réclamant une partition nord-sud du Mali en 2012 et signataires de l’accord de paix d’Alger conclu en 2015 avec l’Etat, les groupes d’ex-rebelles indépendantistes, davantage maîtres de la sécurité dans le Nord que l’armée malienne, sont formellement opposés à une arrivée de combattants étrangers sur leurs territoires. « L’heure est à l’observation, on attend de voir si la percée des Wagner se concrétise », glisse le chef d’un groupe armé.

Crainte d’« un effet domino »

Porte-parole de la Coalition des mouvements de l’Azawad (CMA), rassemblant d’anciens groupes rebelles, Mohamed Elmaouloud Ramadane s’inquiète également de la stratégie qu’adopteront les groupes djihadistes à court terme face au « vide sécuritaire » laissé par le départ de « Barkhane ». « Vont-ils attaquer davantage ou au contraire calmer le jeu pour ensuite négocier avec l’Etat ? En tout cas, le terrain est désormais favorable pour des discussions et le sujet est sur les lèvres de beaucoup de gens au nord », soutient-il, rappelant qu’une des conditions posées à toute négociation par les chefs du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida), à savoir le départ des forces françaises du Mali, est désormais remplie.

A Bamako, plusieurs diplomates européens et hommes politiques maliens disent quant à eux redouter « un effet domino » des annonces françaises sur les autres missions étrangères, jusqu’ici fortement dépendantes de l’appui de la France et des Européens. C’est notamment le cas des casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). « Combien de temps encore le Conseil de sécurité de l’ONU va-t-il estimer qu’il est raisonnable de continuer à faire du maintien de la paix dans un pays où il n’y a plus aucune paix à garder et où les Français ne sont plus là pour chasser les terroristes ? », s’inquiète une source onusienne basée à Bamako. Le renouvellement du mandat de la mission doit être discuté en juin 2022 à New York.

« Le Mali est en train de s’isoler de tous », déplore de son côté Kassoum Tapo, un des porte-parole du Cadre des partis pour une transition réussie, qui regroupe plusieurs dizaines de formations politiques. Selon lui, « c’est grâce à l’opération “Serval” [lancée en janvier 2013 par François Hollande puis transformée l’année suivante en « Barkhane »] que le Mali n’a pas été totalement envahi par les djihadistes. Ne risque-t-on pas de se retrouver confrontés à un nouvel assaut au nord ? »

« Il ne faut pas être pessimiste. L’armée malienne monte en puissance », a répondu comme en écho le colonel Souleymane Dembélé lors d’une séance d’échanges sur la situation sécuritaire organisée avec la presse malienne et diffusée sur les réseaux sociaux jeudi. Le directeur de l’information et des relations publiques des armées (Dirpa), seul officiel malien à s’être pour l’heure exprimé à la suite de l’annonce du retrait, a invité les Maliens à dresser un bilan des neuf dernières années de lutte antidjihadiste sous commandement français : « Le terrorisme a gangrené pratiquement tout le territoire malien. On n’a pas eu de solutions, militairement. La France et les pays européens peuvent partir. Le Mali ne restera pas seul. Donnons du temps au temps et vous verrez ce qui va se passer. »

@

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *