L’épidémie de Covid-19 accélère la crise du secteur de la presse dans le monde

Amorcé depuis longtemps, le déclin de la presse s’accélère à travers le monde depuis le début de la crise du Covid-19. Les audiences numériques des journaux ont explosé, mais sans compenser l’effondrement des ventes d’exemplaires papier et des revenus publicitaires. Privés de leurs deux principales ressources, bon nombre de titres sont contraints de mettre la clé sous la porte, et ce, sur tous les continents.

Les licenciements, mesures de chômage partiel et baisses de salaires des dirigeants se sont multipliés dans les médias avec la crise du coronavirus, malgré un fort intérêt des lecteurs pour l’information. Partout dans le monde, l’effondrement du marché publicitaire pèse.

La presse en première ligne

En France, le quotidien régional La Marseillaise, qui était déjà fragile, a été frappé de plein fouet par le confinement et placé en liquidation judiciaire. Le Parisien prévoit de supprimer trente postes et ses éditions départementales. Prévoyant trois ans de pertes, le journal L’Equipe a demandé à ses salariés de rogner sur leurs salaires et leurs RTT.

Après la liquidation de Paris-Normandie, son repreneur belge, le groupe Rossel, a annoncé qu’il allait supprimer un quart des effectifs, soit 60 postes. Le repreneur de Paris-Turf a également prévu de licencier une centaine de salariés du groupe hippique. Le nouveau propriétaire du magazine Grazia a annoncé de son côté la suppression de 31 postes.

Au Royaume-Uni, le Guardian a annoncé 180 licenciements, et le magazine The Economist 90. Aux États-Unis, Conde Nast (VogueWired, ou le New Yorker) a annoncé le licenciement d’une centaine de salariés sur les 6 000 que compte le groupe. Vox Media (The VergeNew York Magazine) va licencier 72 salariés, soit la majorité de ceux placés en chômage partiel. Le New York Times a licencié 68 salariés de ses équipes de vente.

Le groupe familial McClatchy, qui publie une vingtaine de journaux dont le Miami Herald, a été vendu à un fonds d’investissement, Chatham, après s’être placé en cessation de paiement. Depuis le début de la crise, plus de 36 000 employés des médias d’information américains, aux effectifs déjà resserrés ces dernières années, ont été concernés par des réductions de coûts, selon une analyse du New York Times.

Et à travers le pays, une cinquantaine de rédactions locales, parfois centenaires, ont fermé, selonune liste mise à jour par le site Poynter.

Le web ralentit 

L’information en ligne ne se porte pas mieux. Le groupe Vice Media compte licencier 55 salariés aux États-Unis et 100 à l’international, selon une note envoyée par la directrice du groupe aux employés, révélée par les médias américains.

Au-delà de la crise sanitaire, la dirigeante a accusé les GAFA, les géants du web, d’être une « menace » pour l’information en ligne et de ne prendre « pas seulement une plus grande part du gâteau, mais le gâteau en entier », entraînant la perte de dizaines de milliers d’emplois dans le journalisme.

Pour certains, la crise est l’occasion d’accélérer la transition vers un modèle économique par abonnement, plus stable. C’est le cas du site américain d’information économique Quartz, dont le propriétaire a annoncé le licenciement d’environ 40% des effectifs, principalement dans la régie publicitaire.

L’audiovisuel licencie 

Au Royaume-Uni, la BBC a annoncé qu’elle allait supprimer 520 postes sur un total de 6 000 salariés, notamment dans ses programmes régionaux. Les journalistes couvriront moins de sujets et travailleront en équipes centralisées au lieu de se consacrer à une émission en particulier, a précisé la directrice de l’information de la BBC.

Aux États-Unis, NBCUniversal a diminué de 20% les plus hauts salaires. Le géant ViacomCBS envisage de licencier 10% de ses 35 000 salariés, dans la production télévisuelle, mais aussi dans ses parcs d’attraction, selon Bloomberg.

En France, BFMTV/RMC a annoncé un plan social qui vise notamment à diviser par deux le recours aux intermittents, aux pigistes et aux consultants.

Vers la fin d’un modèle 

Au Brésil, au Mexique, certains des plus grands quotidiens sont passés au 100% numérique. Aux Philippines, 10 des 70 journaux membres de l’institut de la presse ont dû fermer à cause de la pandémie de Covid-19. Partout, la disparition progressive des éditions papier affecte toute la chaîne de production : des journalistes aux vendeurs de journaux, en passant par la production de papier, les imprimeurs et les livreurs.

« C’est la plus grande menace pour l’industrie mondiale de l’information depuis la crise économique de 2008 », a prévenu le magazine spécialisé britannique Press Gazette (qui a abandonné le papier en 2013). Deux cent cinquante journaux locaux avaient déjà fermé en Grande-Bretagne entre 2005 et 2018, et un journaliste sur trois pourrait perdre son poste.

Un public de niche ? 

Aux États-Unis, des dizaines de journaux ont fermé ou fusionné avec leurs concurrents locaux depuis le début de la crise, selon l’institut Poynter. Les journaux américains avaient déjà licencié la moitié de leurs salariés entre 2008 et 2019, selon l’institut Pew.

Les journaux gratuits, comme Metro et Destak au Brésil, ou 20 Minutes en France, ont aussi suspendu temporairement leur parution. Financées par la publicité, et distribuées dans des zones à forte densité, leurs éditions papier n’avaient plus de raison d’être.

En Allemagne, « avant la crise du coronavirus, tous les éditeurs gagnaient de l’argent, même si le nombre des exemplaires vendus ne cessait de diminuer », a déclaré à l’AFP le président de la Fédération des journalistes allemands, Frank Überall. « Aujourd’hui, c’est très différent », mais la presse écrite n’est pas morte. « Une part de nos lecteurs est attachée au fait d’avoir un journal entre les mains et les plus âgés en particulier sont encore loin d’utiliser en masse le numérique 

Au cours des trente dernières années, les journaux ont déjà essayé de réduire leur dépendance au papier, en réduisant leurs formats, en se diversifiant, et en investissant sur internet. Mais la plupart n’ont pas encore trouvé la martingale.

« Même sur les plus petits marchés, Facebook et Google siphonnent les trois-quarts des revenus numériques », souligne Penelope Abernathy, ancienne vice-présidente du Wall Street Journal et du New York Times, professeure d’économie des médias à l’université de Caroline du Nord. « Les médias se partagent les restes. »

Les plus gros pourraient toutefois s’en tirer : le New York Times a vu ses recettes en ligne dépasser pour la première fois celles du papier, au deuxième trimestre. Pour survivre, les plus petits pourraient aussi continuer à devenir plus rares et plus chers. Les magazines qui se sont lancés avec succès en papier ces dernières années visent souvent un public de niche.

« Le papier imprimé survivra sous une certaine forme », souligne Penelope Abernathy, comparant les journaux avec les livres, qui survivent au numérique.

Il y a un futur sur abonnement, pour les magazines, pour des grands journaux quelques jours par semaine, « et l’on se rappellera avec nostalgie de l’ère des quotidiens, de cet instantané des dernières 24 heures », conclut Penelope Abernathy.

@AFP

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *