Européennes 2019 : percée des Verts, des Libéraux et de l’extrême droite dans un Parlement fragmenté

Le scrutin marque le recul des deux principales formations qui ont dominé l’hémicycle de Strasbourg : le Parti populaire européen et les sociaux-démocrates.

Plus d’un millier de journalistes accrédités, un hémicycle transformé en salle de presse géante, un quartier en effervescence : l’administration du Parlement européen avait vu les choses en grand, à Bruxelles, dimanche 26 mai, pour la soirée électorale des européennes. Et les résultats furent à la hauteur des moyens déployés : historiques.

Historique, la participation partout dans l’Union européenne (UE). Plus d’un citoyen sur deux en âge de voter s’est déplacé aux urnes : 50,5 % dans vingt-sept pays de l’UE, selon les chiffres communiqués par le Parlement (sans le Royaume-Uni).

Historique aussi, la percée confirmée des partis populistes partout dans l’UE. Historique encore, l’affaiblissement des deux formations qui, depuis près de quarante ans, ont régenté le paysage politique communautaire – les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et les sociaux-démocrates du PSE. Historiques enfin, les percées des Verts et des libéraux, les deux seules formations pro-européennes et démocratiques en réelle croissance.

Les populistes ont réussi leur mobilisation

Au plus haut depuis vingt ans dans l’UE, depuis vingt-cinq ans en France ou en Allemagne, la participation est donc l’une des bonnes surprises de ces élections, prouvant un regain d’intérêt pour les sujets européens, et une prise de conscience, peut-être, des réels pouvoirs des eurodéputés.

Depuis le traité de Lisbonne (2009), ces élus n’ont cessé de gagner en prérogatives. A l’exception notable des questions fiscales, le Parlement est « colégislateur » pour presque toutes les lois (règlements et directives) de l’UE, y compris le budget communautaire.

Les populistes ont mobilisé leurs troupes et confirmé, dimanche, qu’ils s’étaient largement installés dans le paysage politique communautaire. Les projections de sièges des trois formations eurosceptiques de l’hémicycle – l’Europe des nations et des libertés (ENL, de Marine Le Pen et Matteo Salvini), les Conservateurs et réformistes européens (ECR, dominé notamment par des élus polonais et britanniques) et Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFDD, de Nigel Farage et du Mouvement 5 étoiles) – pour le futur hémicycle atteignaient ainsi 172 sièges, à en croire des projections nocturnes du Parlement.

Comparé aux 155 sièges raflés par ces trois formations en 2014, le gain peut paraître modeste : moins d’une vingtaine. Mais réunies, elles constituent désormais la deuxième force politique du nouvel hémicycle, plus très loin du PPE (179 sièges).

La fin d’un très long cycle

La question est évidemment de savoir si ces formations de nationalistes accepteront de travailler ensemble : pas au gré des votes, mais en systématisant une large coalition, voire en fusionnant. Elles resteraient toutefois très loin de la majorité absolue dans l’hémicycle (376 sièges), mais disposeraient d’une capacité de blocage certaine. Cela n’a cependant rien d’évident : les membres du PiS polonais (Droit et justice), affiliés à l’ECR, jugent ainsi infréquentables – car beaucoup trop prorusses – les élus du Rassemblement national (RN) ou de la Ligue italienne (membres de l’ENL).

Surtout : les partis pro-européens – Verts, libéraux d’ALDE, conservateurs et sociaux-démocrates – se sont tous empressés, dimanche soir, d’appeler à la formation d’une majorité pro-européenne, « large » et « solide », pour faire barrage à des élus qui n’appellent certes plus, pour la plupart, à la sortie de l’UE, mais prônent quand même son affaiblissement.

S’ils ont tenté de faire bonne figure dimanche soir, les leaders du PPE et du PSE étaient parfaitement conscients, eux, de vivre la fin d’un très long cycle. Avec 179 sièges annoncés pour les conservateurs et 150 pour les sociaux-démocrates, les deux formations perdent leur majorité absolue pour la première fois depuis 1979.

Les sociaux-démocrates cèdent 41 sièges : ils comptaient sur le Labour britannique pour limiter la casse, mais la performance des travaillistes outre-Manche a finalement été décevante (14 %). La chute est tout aussi rude pour le PPE, qui perd 42 sièges par rapport à la législature 2014-2019, en raison du recul des partis membres en Espagne, en Italie, mais surtout de la contre-performance de la démocratie-chrétienne allemande (CDU, 28,7 %), véritable colonne vertébrale de cette formation paneuropéenne.

Comment le poids des différents groupes politiques a évolué

Répartition par tendance politique des sièges au Parlement européen au début de chaque législature. L’extrême droite n’ayant pas de groupe parlementaire entre 1994 et 2015, ses élus étaient classés dans la catégorie « Autres ».

Les Verts et les libéraux, faiseurs de rois

Le recul pourrait même être plus sévère pour la grande famille de la droite classique si Viktor Orban, le premier ministre hongrois, suspendu du PPE depuis mars, décidait de claquer la porte pour rejoindre les rangs eurosceptiques. Le chantre de l’« illibéralisme » a enregistré un score historique pour son parti, le Fidesz, dimanche (52,3 % des suffrages), et il devrait envoyer 13 élus à Strasbourg et Bruxelles.

Dans ce contexte, les Verts et l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE) se sont autoproclamés faiseurs de rois de la future Assemblée européenne. Portés par la prise de conscience climatique et la performance des Grünen allemands (20,7 %), les écologistes se hissent à 70 sièges, presque 20 de plus qu’attendu. « Les Verts européens sont aussi les vainqueurs du jour », a admis, dimanche, Manfred Weber, le champion du PPE pour remplacer Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission.

Un appel du pied manifeste du Bavarois, qui espère bien trouver au plus vite un terrain d’entente avec ces élus devenus incontournables. « Avec la montée en puissance des populistes, pour faire une majorité pro-européenne stable dans cette maison, les Verts seront indispensables », a insisté en réponse l’eurodéputé belge Philippe Lamberts.

Le PPE devra aussi composer avec les libéraux d’ALDE, qui, pour la première fois, devraient atteindre 107 sièges, du jamais-vu pour cette formation qui s’était jusque-là contentée de jouer les forces d’appoint aux coalitions PSE-PPE. Elle doit cette soudaine dynamique essentiellement aux performances de la liste française Renaissance, dont Guy Verhofstadt, l’actuel chef d’ALDE au Parlement, a officiellement confirmé le ralliement dimanche. Si Emmanuel Macron a perdu son pari, en France, d’arriver devant le RN, il a donc réussi celui d’envoyer un groupe suffisamment conséquent à Bruxelles pour bousculer les équilibres européens.

L’inconnue du Brexit

PPE, PSE, ALDE et Verts : ces quatre formations pro-européennes parviendront-elles à s’entendre ? Leurs dirigeants savent qu’ils n’ont pas le choix, s’ils veulent éviter que les élus eurosceptiques grippent la machine parlementaire.

Mais les tractations partisanes pourraient prendre du temps, et promettent d’être rudes. Si les priorités d’ALDE ressemblent pour beaucoup à celles du PPE, ce dernier est très peu ambitieux en matière environnementale. « On ne veut pas parler uniquement des nominations [aux postes-clés de l’UE], on veut parler du fond : une Europe plus sociale, plus démocratique et un programme pour l’environnement », martèle Bas Eickhout, chef de file néerlandais des Verts à Bruxelles.

Cette photographie de l’hémicycle pour la prochaine législature (2019-2024) n’est pas encore complètement figée. Les partis politiques nationaux doivent reconfirmer leurs appartenances aux différentes formations paneuropéennes dans le courant de juin (avant la première session du Parlement, le 2 juillet). Certains pourraient vouloir changer de chapelle. Rejoindre ALDE, par exemple, ou passer d’un groupe eurosceptique à l’autre.

Il y a aussi l’inconnue du Brexit : aura-t-il lieu effectivement le 31 octobre ? Si oui, les effectifs de l’EFDD devraient brutalement fondre, pour cause de départ d’une trentaine de membres du Parti du Brexit.

© Le Monde