Israël frappe une trentaine de cibles dans la bande de Gaza après des tirs de mortier

Il s’agit de la confrontation la plus sévère entre Israël et les groupes armés palestiniens depuis la guerre de l’été 2014.

Les sirènes d’alerte ont retenti tôt, mardi 29 mai, dans les communautés israéliennes situées le long de la frontière de la bande de Gaza. Pour la première fois depuis le début de la « marche du grand retour », débutée le 30 mars, près d’une trentaine d’obus de mortier ont été tirés en provenance du territoire palestinien blessant trois soldats israéliens, selon l’armée. L’un d’eux a atterri dans l’enceinte d’une école, encore déserte à cette heure matinale. La photo de l’obus a immédiatement fait le tour des réseaux sociaux. Le système de défense israélien « Dôme de fer » a intercepté une partie des projectiles, a précisé l’armée israélienne.

Ces tirs d’obus de mortier ont été revendiqués, mardi soir, par les branches armées des mouvements islamistes palestiniens Hamas et Jihad islamique palestinien (JIP), dans un rare communiqué conjoint. Elles ont précisé avoir répondu à de récentes attaques israéliennes contre leurs position dans l’enclave.

En réaction à ces tirs, Tsahal a annoncé dans l’après-midi avoir frappé plus de 35 cibles sur sept sites à Gaza. « Nous venons de mener un raid important frappant plus de 30 cibles militaires différentes qui appartiennent à des organisations terroristes », a affirmé le porte-parole de l’armée, Jonathan Conricus, ajoutant que les frappes ont détruit un tunnel et différentes infrastructures militaires « appartenant au Hamas et au Jihad islamique ».

En début de soirée mardi, les Etats-Unis ont demandé une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui devrait se tenir mercredi. « Les attaques récentes venues de Gaza sont les plus importantes depuis 2014. Les tirs de mortier par des militants palestiniens ont touché des installations civiles, dont un jardin d’enfants », a dénoncé l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, citée dans un communiqué.

« Le Conseil de sécurité devrait être indigné et répondre à ce dernier épisode de violence dirigée contre des civils israéliens innocents. Les dirigeants palestiniens doivent rendre des comptes pour ce qu’ils laissent faire à Gaza. »

Les incidents se multiplient

Dimanche, l’armée israélienne a découvert et désamorcé un engin explosif artisanal placé sur la clôture frontalière, dissimulé dans des cisailles. Elle a ensuite frappé un poste d’observation. Trois membres du JIP sont ainsi morts. Les observateurs et les autorités s’attendaient donc cette fois à une réponse de cette faction, avec le consentement – indispensable – du Hamas, qui rappellerait ainsi le pouvoir de nuisance militaire dont il dispose encore, malgré son affaiblissement et son isolement. Le Hamas, maître de la bande de Gaza depuis 2007, est encore tenu pour responsable de tout incident sécuritaire par l’Etat hébreu.

Le 30 octobre 2017, le JIP avait perdu plusieurs membres de sa branche armée lors de la destruction par Israël d’un tunnel d’attaque. Quatorze Palestiniens avaient été tués. Mais le mouvement islamiste s’était gardé de toute vengeance d’ampleur, sur l’insistance du Hamas. Les deux factions étaient alors engagées dans les négociations au Caire en vue d’une réconciliation avec le Fatah du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Une réconciliation aujourd’hui au point mort.

Alors que plus de 110 personnes ont été tuées par les soldats israéliens et plus de 3 500 blessées par balle depuis le début de la marche, les incidents se multiplient ces derniers jours le long de la clôture. Outre les départs de feu provoqués en Israël par des cerfs-volants enflammés, des tentatives d’infiltration ont été déjouées. A Sdérot lundi soir, plusieurs impacts d’armes automatiques ont été constatés sur des bâtiments et des voitures, après des tirs de la bande de Gaza.

Plus tôt dans la journée, deux Palestiniens avaient été arrêtés par l’armée alors qu’ils traversaient la clôture pour tenter de mettre le feu à un poste d’observation israélien. Mardi, plusieurs bateaux de pêche devaient tenter de quitter la bande de Gaza et de forcer le blocus maritime, transportant à leur bord des blessés, atteints par balle ces dernières semaines lors de la marche.

Drone et engins artisanaux

Il y a quelques jours, l’armée a annoncé qu’elle avait mis la main sur un drone, chargé d’explosifs, qui aurait été téléguidé de la bande de Gaza en direction du territoire israélien. Depuis deux mois, de nombreux engins artisanaux destinés à détoner à proximité de patrouilles de soldats ont été détectés. En revanche, le Hamas a veillé pendant cette période à éviter toute escalade militaire qu’auraient pu provoquer des tirs de roquettes sur la population civile israélienne.

Ce mélange d’actions civiles et militaires est difficile à gérer pour Israël, à la fois sur un plan opérationnel et sur celui de son image à l’extérieur. Aucun des acteurs ne veut d’un nouveau conflit dévastateur, mais personne ne souhaite apparaître en position de faiblesse ou de vulnérabilité, alors qu’une mobilisation complexe s’observe sur le plan diplomatique, pour sauver Gaza. L’enjeu est aussi l’avenir de la question palestinienne, et l’approfondissement du fossé entre le territoire sous blocus et la Cisjordanie.

La prochaine étape de la « marche du grand retour » est prévue le 5 juin. En attendant, des tractations intenses ont lieu en coulisse. Il est question d’une trêve à long terme, négociée de façon indirecte entre le Hamas et Israël, l’Etat hébreu ne posant plus en préalable le désarmement complet du mouvement islamiste, selon la presse locale. L’Egypte et le Qatar jouent les intermédiaires. Cet accord comprendrait à la fois une sorte de mise sous scellés de l’arsenal des factions armées, un arrêt dans la construction de tunnels, un possible échange de prisonniers et la libération des deux civils israéliens détenus à Gaza. Israël faciliterait aussi de grands projets d’investissements et d’infrastructures. Une inconnue demeure : de quelle façon une telle trêve, souhaitée ouvertement par la direction du Hamas, s’articulerait-elle avec le plan de paix que l’administration Trump compte toujours proposer, malgré la fin de non-recevoir adressée par le président palestinien, Mahmoud Abbas ?

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