Avec les réfugiés du Soudan du Sud

Dans ce pays rongé depuis trois ans par la guerre civile, « Le Monde » est allé à la rencontre du peuple des Shilluk, encerclés par l’armée et réfugiés dans le camp de Malakal.

La vieille femme frémit dans la pénombre de son refuge. Ses mots s’entrechoquent, elle relate la chute, en février, de Wau Shilluk, la capitale ancestrale du royaume shilluk, dans le Soudan du Sud septentrional. Tibissa (le nom a été modifié) a connu quatre rois et plusieurs décennies de lutte pour l’indépendance, arrachée par les sudistes aux dirigeants de Khartoum en 2011. Mais « une telle guerre, jamais » !

Lorsque des obus ont commencé à s’abattre le 25 janvier, tirés d’une rive à l’autre du Nil Blanc entre l’armée sud-soudanaise et les rebelles locaux, 20 000 habitants de Wau Shilluk se sont volatilisés dans la brousse. Tibissa, elle, se savait condamnée. L’infirme a alors imploré sa fille : « Fuyez, laissez-moi mourir ici. » Dix jours plus tard, le verrou stratégique de Bokenje, en aval du fleuve, a sauté. Et la troupe loyaliste a déferlé. Tibissa fait de grands gestes avec ses bras décharnés. Deux vieillards ont été brûlés vifs dans leurs logis, des femmes violées, un adolescent tué dans sa course. Tibissa se détourne, comme par pudeur, puis dit, dans un rire aux accents déments : « Je les ai suppliés de m’achever. » Les soldats l’ont épargnée, et l’octogénaire a été évacuée, mi-février, par l’ONG Médecins sans frontières (MSF), avec une trentaine de personnes âgées.

Elles ont rejoint les déplacés de guerre ayant trouvé refuge au camp de Malakal, installé sur un terrain désertique, sur l’autre berge du Nil, à quelque 3 kilomètres du fleuve. Le vent fait claquer les bâches, des ombres errent dans les ruelles poussiéreuses. Environ 30 000 déplacés, à 95 % membres de l’ethnie shilluk, survivent au sein de cette base de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss), transformée en camp de protection des civils. L’armée sud-soudanaise l’assiège depuis bientôt deux ans.

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