L’étrange destin de Wangrin de Amadou Hampaté Bâ

«Un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle.« Amadou Hampathé Ba.

Ce proverbe  appartient à tous mais qui en est le parent ? C’est Amadou Hampathé Ba. Célèbre conteur, ethnologue peul et malien. Il fait partie des grands humanistes du XXème siècle. Son parcours de vie est une leçon pour chacun d’entre nous. Il a su passer de l’oralité à l’écriture. Amkoullel l’enfant peul  en est un illustre exemple. Amadou Hampathé Ba y a transcrit  l’Histoire de son peuple à travers sa lignée familiale. Les enseignements de vie  se transmettent de génération en génération. Amadou Hampathé Ba incarne la connexion entre les valeurs peuls, musulmanes et celles appartenant au monde blanc. Il a su tirer profit de ces trois mondes que l’on aurait pu croire antinomiques et nous laisse ainsi percevoir une complémentarité. Cet homme est pétri de sagesse et de véracité. Il a su prendre le temps d’écouter les anciens. Ceux à qui nous devons le respect. Ceux qui ont acquis une grande expérience à travers leur vie et qui ne demandent qu’à transmettre aux générations qui suivent. Ne dit-on pas qu’un homme averti en vaut deux ? L’Étrange destin de Wangrin nous extirpe de la vie  d’Amkoullel l’enfant peul afin de nous attacher à la rencontre mystérieuse d’un nouveau protagoniste. Il nous conte la conjecture d’un homme que l’on aurait pu croire tout droit sorti de son imagination. Et bien non Wangrin a existé.

Halimata Fofana

« Merci, mon commandant, vive la France ! »

L’étrange destin de Wangrin nous est conté par le romancier malien Amadou Hampaté Bâ qui relate l’histoire qui lui a été narrée par le personnage éponyme lui-même alors qu’il était âgé de douze ans. Ce n’est donc pas un roman mais une biographie.

L’auteur nous plonge dans une époque où le Mali est une province appartenant à l’Afrique Occidentale Française. Nous allons donc découvrir la manière dont les colons régissent cette colonie, les indigènes et le fonctionnement de ces sociétés ouest africaines.

Wangrin fut élevé à Ninkoro-Sira comme un bon fils de Bambara où il apprit à pécher, à monter à cheval et à puiser l’eau pour sa mère. Il a donc reçu une excellente éducation traditionnelle. Suite à cela un jour, les blancs arrivent au village et embarquent parmi leur bagages quelques enfants qui vont bénéficier de l’école républicaine de Jules Ferry. Wangrin est l’un d’entre eux. Cet homme est l’enfant de deux modes de vie : à la française et à la bambara. Il en retire donc un avantage non négligeable, il maîtrise parfaitement les codes des deux sociétés. Par ce biais, Wangrin se place au dessus des indigènes et des colons. Le robin des bois Bambara peut donc attaquer. Et il le fait sans vergogne.

De retour à son village natal, lors de vacances scolaires, son père le circoncit, et Wangrin devient un « Kamalen-Koro* ». Il rencontre alors le marabout qui lui permet de l’attacher à un Dieu et Wangrin choisit « Gongoloma Soké ». Le Dieu fabuleux que « l’eau ne pouvait mouiller ni le soleil dessécher. Le Sel ne pouvait le saler, le savon ne pouvait le rendre propre. Mou comme un mollusque, pourtant aucun métal tranchant ne pouvait le couper ». On peut comprendre que ce Dieu est tout et son contraire, blanc et noir. Le paradoxe est donc de mise. Est-ce un présage de l’identité de notre personnage principal ?

Wangrin de par son attachement à Gongoloma Soké cherche par tous les moyens à arriver à ses fins. Son moteur est l’argent, la gloire et les femmes. Tout comme Georges Duroy, personnage principal du roman de Maupassant qui se nomme Bel Ami. L’espèce humaine est le moyen selon ces deux personnages, d’assouvir leur soif d’argent et de gloire. Cependant l’un est maître de son destin et l’autre pense qu’il n’est qu’esclave de ce qui lui arrive. L’hubris ? C’est un sentiment violent inspiré par les passions, et plus particulièrement par l’orgueil.  Wangrin a-t-il été victime de cela tout comme les héros des tragédies grecques ? Le destin, la fatalité qui se dressent face à un être qui est né poussière et le redeviendra. Le crime est avoir osé défier les Dieux tout comme Démosthène contre Midias.

Wangrin obtient son certificat d’études primaires indigène et termine major de sa promotion. Il est affecté dans la célèbre ville de Diagaramba, capitale du Namaci. C’était alors le plus haut diplôme qu’un autochtone pouvait acquérir au sein des institutions françaises. Il devient donc directeur d’une école dans une ville très convoitée.

Dans cette cité, on peut observer trois types de personnes : les Tubabublen blancs-blancs nés en France, et les Tubabu fins, « blancs-noirs » africains devenus auxiliaires et le personnel domestique des premiers. La hiérarchie des races est présente ainsi que le travail forcé. Le code de l’indigénat régit ces colonisés. Les blancs blancs outre leur privilège lié à la couleur de leur peau peuvent aussi profiter des belles femmes africaines. Ce sont des pachas qui ont le droit de vie et de mort sur ces êtres -mi homme mi singe -.

A son arrivée, il se présente devant le commandant et l’interprète est stupéfait il dit : « Ah ! Moussé Lekkol, toi parler beaucoup beaucoup avec commandant. Mais toi pas parler en « forofifon naspa**» toi parler le français tout neuf, couleur vin rouge de Bordeaux ». Tout le monde s’étonne de la maîtrise de la langue française par un nègre. Le commandant décide de renvoyer celui qui s’exprime en « forofifon naspa » pour Wangrin.  Il lui semble que celui-ci est davantage imprégné de la culture française. Maupassant, Flaubert et bien d’autres encore sont les faire valoir de Wagrin, il éblouit les colons par ce savoir et il comprend qu’il peut tirer profit de cette situation. Il met un plan en route : verser des pots de vin aux rois de la ville, donner de l’argent aux pauvres et acheter le silence et la complicité des plus récalcitrants.

Première guerre mondiale. La force noire chère au Général Mangin est donc réquisitionnée ainsi que les denrées alimentaires des colonies. Wangrin est chargé d’envoyer les bœufs en Europe. Il décide avec la complicité de certains de réduire le nombre qui était indiqué dans les registres, pour s’approprier des têtes de bétails. Il vole tant les bergers peuls que la nation française. Il s’enrichit et assoit son autorité auprès des rois africains et des colons. Jusqu’à ce qu’un inspecteur venu de la France enquête sur ce dysfonctionnement. Wangrin décide donc de consulter les Dieux pour pouvoir contrer cette attaque. Il en ressort totalement blanchi. Alors que le commandant blanc sera lourdement condamné. C’est un fait très rare car le blanc de par sa couleur a toujours raison et aucun noir n’a osé se dresser devant ceux qui devraient être intouchables. « Merci, mon commandant, vive la France ! » A chaque fois, la protection du Dieu Gongoloma Socké a permis à Wangrin de passer outre. Wangrin est aussi rapide qu’une hyène, malin comme un renard et fourbe.

Est-ce la croyance ou Gongoloma Socké qui lui a permis de se sentir invincible ?

Lors d un séjour à Dakar, il oublie la pierre qui le lie à ce Dieu. Et celle-ci crée sa perte. Il se met à boire « le deleau » (l’alcool) afin oublier, tandis que chez les musulmans bambaras l’eau de vie n’a pas sa place. Il se saoule et donne ce qui lui reste d’argent aux plus pauvres. Il se fait voler par un couple de blancs et erre dans les bars à la recherche de la sensation d’ivresse.  Est-ce la foudre divine qui s’abat contre lui ?

A travers le parcours de Wangrin, on peut se poser la question de la place de l’homme dans cet univers. Pour certains, le pouvoir politique, le savoir permet d’avoir un ascendant sur les autres. Mais que fait-on de ce petit bénéfice ? Wangrin a opté pour l’enrichissement, de soi et de ceux qui lui sont proches tout en faisant bénéficier les plus nécessiteux.

D’autres, comme quelques membres appartenant à l’empire français et quelques enrichis noirs assujettissent les plus vulnérables afin de leur soutirer les maigres ressources que le peuple possède.

* Kamalen-Koro : un homme circoncis

* forofifon naspa : français populaire