Au Sénégal, la pêche artisanale fragilisée par l’arrivée des chalutiers chinois

La surpêche industrielle pratiquée par les navires chinois déstabilise un secteur qui emploie 17 % de la population active sénégalaise. Les pêcheurs locaux réclament la « transparence » sur les activités de ces bateaux au large des côtes de leur pays.

Assis sur la tranche de sa pirogue de couleurs vives fichée dans les sables de Mbour, à 70 km au sud de Dakar, Ousseman Diop a l’air dubitatif. Le jeune homme d’une trentaine d’années rentre juste d’une sortie au large, horizon laiteux où mer et ciel se marient dans les brumes hivernales. « Je n’arrive plus à subvenir à mes besoins », soupire-t-il devant l’indigence de ses prises. En écho, un peu plus loin, un autre pêcheur, flottant dans sa combinaison orange, s’accable du « déclin » de l’activité ces dernières années. « Je pêchais avant 50 kg par jour, précise-t-il. Aujourd’hui, j’arrive à peine à 10 kg. »

La complainte est lancinante sur ces rivages de Mbour à l’heure où la petite armada de pirogues regagne la terre ferme. Une file de porteurs sanglés de plastique, caisse sur la tête, immergés jusqu’au torse, progresse lentement vers les plus grosses barques tenues à distance du bord en raison de leur tonnage. Ils apportent des blocs de glace et des jerricans d’essence avant de repartir chargés de poissons : mérous, carangues, maquereaux ou sardinelles.

Le 16 décembre 2021, au large de Mbour, Sénégal, ces pêcheurs utilisent des filets interdits avec un maillage trop petit, les autorités n’ont pas les ressources pour contrôler les pirogues. ©SYLVAIN CHERKAOUI POUR LE MONDE

Une partie des prises est vendue sur place, étalée sur une bâche où trône une balance. L’autre sera embarquée dans des mini-camions frigorifiques qui stationnent sur un parking attenant à la plage. La faiblesse de la circulation dit la morosité des temps. « Il y a moins de poissons à cause des plongeurs qui dynamitent les roches sous-marines ainsi que des bateaux chinois », glisse Ousseman Diop.

La grogne couve le long du littoral sénégalais contre une surpêche industrielle pratiquée par des chalutiers étrangers appauvrissant la ressource halieutique. Aux côtés de bâtiments européens, turcs ou russes, les Chinois se sont révélés particulièrement actifs ces dernières années. Aucun accord de pêche n’ayant été signé entre Dakar et Pékin, les chalutiers chinois opèrent en général sous la couverture d’un prête-nom sénégalais enrôlé dans une société mixte.

Dégâts sociaux

A la veille de l’ouverture du forum Chine-Afrique (Focac), qui s’est tenu à Dakar les 29 et 30 novembre 2021, des associations de professionnels de la filière halieutique avaient appelé le gouvernement sénégalais à défendre les intérêts nationaux face aux ambitions d’un partenaire chinois à l’offensive depuis la normalisation diplomatique entre les deux pays en 2005. « La venue des sociétés chinoises a largement contribué à appauvrir les communautés de pêche et n’a enrichi qu’un petit groupe de personnes [avec] des sociétés mixtes nébuleuses », dénonçait ainsi dans un communiqué la Coalition contre les usines de farine de poisson et la mauvaise gouvernance des pêches.

Moustapha Senghor, trapu et verbe haut, est l’un de ces activistes qui tirent la sonnette d’alarme. Coordinateur à Mbour du comité local de la pêche artisanale – un organisme professionnel –, il déplore « l’invasion de nos eaux par des bateaux étrangers », notamment les « Chinois qui s’approchent le plus de nos zones côtières et affectent donc davantage la pêche artisanale ».

Le 16 décembre 2021, à Mbour, Senegal, Moustapha Senghor, coordinateur du conseil local de la pêche artisanale constate que le poisson se fait de plus en plus rare, selon lui l’indiscipline des pêcheurs artisanaux et les bateaux étrangers industriels ont son la cause principale. ©SYLVAIN CHERKAOUI POUR LE MONDE

Selon l’Agence nationale de la statistique et la démographie (ANSD), le produit annuel de la pêche artisanale au Sénégal est passé de 386 000 tonnes de poissons en 2005 à 335 000 tonnes en 2018, soit une baisse de 13 %. A Mbour même, le déclin est bien plus prononcé à en juger les chiffres fournis par les pêcheurs eux-mêmes, à commencer par Moustapha Senghor qui évalue la chute de sa propre activité « à deux tiers en dix ans ». « La situation est devenue désastreuse », grince-t-il.

Les dégâts sociaux d’un tel recul ne peuvent être que sévères dans un pays où la pêche artisanale fournit autour de 600 000 emplois directs et indirects, soit 17 % de la population active. Les femmes impliquées dans la transformation de la ressource en « poisson séché » ou « poisson braisé », aliments précieux car facilement conservables, figurent parmi les victimes collatérales de cet épuisement des stocks halieutiques. Et ce d’autant qu’elles doivent subir la concurrence d’usines d’huile de poisson et de farine de poisson – dont les Chinois sont très friands pour leur aquaculture – qui prolifèrent sur ce littoral atlantique, de la Mauritanie à la Guinée-Bissau. « Si le métier de la transformation en poisson séché et braisé disparaît, ce sera une catastrophe pour les gens », avertit Anta Diouf, l’une des représentantes de cette corporation.

@Le Monde

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *