En Iran, quels changements pour les femmes après six mois de manifestations ?

La mort de la jeune Mahsa Amini a déclenché un vent de contestation inédit depuis 40 ans en Iran. Si l’État reste ferme, les femmes « n’ont plus peur de rien », assurent deux chercheuses iraniennes au « HuffPost ».

« Femme, vie, liberté », scandent les Iraniennes depuis la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour avoir mal mis son voile et décédée trois jours plus tard, le 16 septembre 2022. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes ce mercredi 8 mars, leur combat infatigable pour l’égalité sera dans toutes les têtes.

Car malgré près de six mois de manifestations dans tout le pays, « le régime n’a pas cédé », constate amèrement la sociologue et politologue iranienne Mahnaz Shirali, interrogée par Le HuffPost. « Jusque-là, l’État n’a fait preuve d’aucune volonté pour avancer vers les revendications des femmes », ajoute-t-elle.

Si la question du voile est au cœur de la contestation des Iraniennes, au fil des semaines les protestataires – dont les hommes qui soutiennent cette lutte – ont exigé plus de libertés, de démocratie, et la fin du régime. Plutôt que de lâcher du lest, ce dernier a réprimé, tué et emprisonné des milliers de manifestants. Plusieurs d’entre eux ont été exécutés, des dizaines sont dans le couloir de la mort.

La société iranienne en pleine mutation

Seule initiative prise par l’État en faveur des manifestants : dissoudre la police des mœurs soupçonnée d’être responsable de la mort de la jeune Mahsa Amini. Une décision en trompe-l’œil. « La police des mœurs ne peut plus brutaliser les femmes. Mais les autorités ont fait passer une clause du Code pénal qui permet de priver les femmes non voilées, ou qui ne respectent pas les préceptes du régime, de leurs droits ou de services publics », pointe auprès du HuffPost la sociologue Azadeh Kian.

Par exemple, poursuit la professeure à l’Université Paris-Diderot, « si une commerçante ne porte pas le voile, son magasin va être fermé. C’est pareil pour les restaurants, les cafés, les pharmacies. Une Iranienne peut aussi perdre son emploi si elle est dans le privé. » En bref, résume Azadeh Kian, « bien que l’on voie moins de femmes attaquées dans les rues, car le régime craint de nouvelles échauffourées, ce dernier impose toujours sa loi par la force ».

Malgré l’inertie de l’État, un vrai changement s’opère dans la société, remarque tout de même la politologue Mahnaz Shirali : « Les femmes osent braver les interdits. Elles sont à la fois plus courageuses, mais aussi plus désespérées. Elles n’ont plus peur de rien, elles sont plus fortes. Ce n’était pas le cas il y a quelques années, avant Mahsa Amini. »

« Les Iraniennes refusent les diktats du régime »

Elles sont de plus en plus nombreuses à s’exposer tête nue dans la rue, surtout dans les grandes villes. Une hérésie au pays des mollahs, où le port du voile est obligatoire depuis 1983. Des manifestantes brûlent également leur hijab, des étudiantes osent aller à l’université sans ce bout de tissu symbole de la mainmise du régime sur les femmes…

Plus récemment Zainab Kazempour, une ingénieure qui participait à un congrès, a jeté son foulard sur scène lorsqu’elle a appris que sa candidature au conseil d’administration de l’Organisation de l’ingénierie et du bâtiment de Téhéran, dont elle fait partie, avait été refusée à cause de ses positions progressistes sur le voile. Son geste a été applaudi par l’assistance et a fait le tour des réseaux sociaux, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous.

« Les femmes refusent de se soumettre aux diktats du régime », confirme Azadeh Kian. Optimiste, elle pense que rien ne sera plus comme avant. « La résistance des Iraniennes est ancrée dans la société et elles affirment qu’elles n’accepteront pas de revenir en arrière. Elles vont même continuer leur lutte pour l’égalité, et pas seulement sur le voile. D’ailleurs, le régime a bien compris que les femmes étaient devenues un enjeu politique majeur et c’est pour ça qu’il tente de les réprimer », analyse-t-elle.

Une autre évolution de taille confirme son espoir de voir un changement dans le pays : la présence des hommes dans les manifestations. « On constate que les Iraniennes sont de plus en plus soutenues par leurs homologues masculins, ce n’était pas du tout le cas avant, assure la sociologue. Ils s’interposent entre elles et les forces de coercition. »

Son optimisme contraste avec la résignation de Mahnaz Shirali, qui n’ose s’exprimer sur la suite des événements et insiste sur le fait que l’« État n’a jamais été aussi important et cruel ». D’ailleurs, les manifestations deviennent plus sporadiques en Iran depuis quelques semaines, même si spécialistes et activistes assurent que rien n’est fini. Le 8 mars pourrait-il être l’occasion de raviver la flamme de la révolution ?

 

@huffingtonpost Par Marie Terrier

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