En Equateur, la « révolution citoyenne » de Rafael Correa jugée par les électeurs

Lenin Moreno, le dauphin de l’actuel président, est au coude-à-coude dans les sondages avec le candidat de l’opposition, Guillermo Lasso, avant le second tour de la présidentielle, dimanche.

Trêve électorale et « loi sèche », l’Equateur s’apprête à voter. Dimanche 2 avril, les 13 millions d’électeurs du pays andin sont appelés aux urnes pour décider qui, du candidat de gauche Lenin Moreno ou du libéral Guillermo Lasso, succédera à Rafael Correa, l’impétueux président en place depuis 2007. Ils sont au coude-à-coude. A partir de vendredi, tout prosélytisme politique est interdit, sur les ondes comme dans la rue. La vente de boissons alcoolisées est suspendue jusqu’au lendemain du scrutin.

Jeudi soir, Lenin Moreno, 64 ans, a bouclé sa campagne dans un quartier populaire de Quito. Le candidat de Alianza Pais (Alliance pays, AP), la formation du président Correa, a promis de poursuivre sa « révolution citoyenne ». Perchée à 2 800 mètres dans les Andes, la capitale de l’Equateur a toujours voté plus à gauche que Guayaquil, sa métropole économique, sur la côte Pacifique. C’est là-bas que Guillermo Lasso, 61 ans, y a prononcé son dernier discours de campagne.

Un avenir économique qui s’annonce difficile

Ancien banquier, le candidat d’opposition promet le « changement », un mot porteur après dix ans de règne sans partage de M. Correa. D’autant que plusieurs scandales récents de corruption entachent le bilan du gouvernement sortant. En invoquant son expérience dans le secteur privé, M. Lasso se fait fort de créer un million d’emplois en quatre ans et de réduire les impôts pour relancer l’économie. L’Equateur, qui produit près de 500 000 barils de pétrole par jour, a souffert de l’effondrement des cours, de la réévaluation du dollar (qui est depuis 2000 la devise nationale) et du tremblement de terre de 2016. Personne ne doute que le vainqueur de la présidentielle affrontera une situation économique difficile.

L’Equateur va-t-il maintenir le cap à gauche ? La polarisation politique de l’Amérique du Sud pèse dans la campagne. Dans ses discours, M. Lasso brandit la menace d’une dérive « à la vénézuélienne » si son adversaire devait l’emporter. Pour les partisans de M. Correa, la victoire de l’opposition signifierait le retour de « la longue nuit néolibérale ». La tension entre les deux camps est vive. Mardi, M. Lasso a été agressé par des excités.

Six semaines ont séparé les deux tours de scrutin. Avec 39,3 % des voix, M. Moreno avait raté de peu la victoire le 19 février. En Equateur, un candidat peut emporter le premier tour de la présidentielle avec 40 % des voix si plus de dix points le séparent de son adversaire le plus proche. Guillermo Lasso n’avait alors obtenu que 28,1 % des voix. Les autres candidats se sont ralliés à lui pour faire barrage à Lenin Moreno au second tour.

Craintes de fraudes

Les opposants soulignent que 60 % des électeurs ont voté contre le candidat du président sortant au premier tour. Le vote est obligatoire, mais les derniers sondages donnent M. Moreno gagnant. « Beaucoup de gens qui en ont ras-le-bol de Correa, de son hyperprésidence et de son hyperprésence médiatique, n’ont pas voté Lenin au premier tour. Mais ils vont le faire au second parce qu’ils savent qu’ils ont beaucoup à perdre si la droite revient », considère Francisco Espinoza, militant d’Alianza Pais.

Affable, toujours souriant, M. Moreno a pris soin de se démarquer du style autoritaire de son mentor. Il a néanmoins refusé de débattre à la télévision avec M. Lasso. L’opposition s’inquiète des risques de fraude. « Le résultat du premier tour, défavorable au pouvoir en place, qui comptait bien l’emporter dès le premier scrutin, a crédibilisé le Conseil national électoral », rappelle un diplomate occidental en poste à Quito. Toutefois, il est à craindre qu’un résultat trop serré, ou trop long à venir, ne mette le feu aux poudres. Le Conseil national avait tardé quatre jours à donner les résultats du premier tour.

Dimanche soir, un Australien suivra de près le résultat du scrutin équatorien. Il s’agit de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, réfugié depuis 2012 dans les locaux de l’ambassade d’Equateur à Londres. Quito lui a octroyé l’asile politique, mais le Royaume-Uni refuse de lui établir un sauf-conduit. Accusé d’un viol en Suède – qu’il nie –, M. Assange craint d’être extradé et condamné aux Etats-Unis pour la publication de documents diplomatiques et militaires confidentiels. M. Moreno a promis de maintenir l’asile accordé. Son concurrent souhaite le « réexaminer ».

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