«MEURTRE DE MASSE DE SES FIDÈLES»: DES PASTEURS ARRÊTÉS AU KENYA APRÈS L’EXHUMATION DE 98 CORPS

Ce scandale a ravivé le débat sur le contrôle des cultes dans le pays. Les autorités gouvernementales ont promis des mesures contre les pasteurs autoproclamés, «qui veulent utiliser la religion pour promouvoir des idéologies louches et inacceptables».

Ezekiel Odero, tout habillé de blanc, Bible à la main, a été transféré au siège de la police régionale à Mombasa. L’un des plus influents pasteurs du Kenya a été arrêté ce jeudi. Il est accusé du «meurtre de masse de ses fidèles»

Cette arrestation intervient alors que les autorités ont annoncé des mesures contre les cultes «inacceptables», qualifiés de «terroristes», suite à la découverte ces derniers jours de 98 corps, adeptes d’une autre «église» dans ce qu’on appelle désormais «le massacre de Shakahola».

100 personnes enfermées

Ezekiel Odero, chef du Centre de prière et Église de la Nouvelle Vie (New Life Prayer Centre and Church), «a été arrêté et fait l’objet de poursuites pénales liées au meurtre de masse de ses fidèles», a déclaré le ministre de l’Intérieur Kithure Kindiki dans un communiqué.

«Ladite église a été fermée. Les plus de 100 personnes qui étaient enfermées dans les locaux ont été évacuées», a ajouté le ministre.

Ce télé-évangéliste aisé attire habituellement les foules dans son église qui peut accueillir quelque 40.000 personnes au sud de Malindi. Selon lui, des bouts de tissus «sacrés» vendus à ses rassemblements peuvent guérir de maladies.

Un pasteur accusé d’affamer ses fidèles

Si la police n’a communiqué aucun lien entre les deux arrestations, un autre «pasteur» autoproclamé est en détention depuis le 14 avril au Kenya. Paul Mackenzie Nthengue s’est rendu à la police après la découverte de corps de membres de sa secte dans la forêt de Shakahola.

Une fosse commune dans la forêt de Shakahola au Kenya, le 25 avril 2023. © Yasuyoshi Chiba

Depuis, un total de 98 personnes – dont une majorité d’enfants – ont été retrouvées enterrées dans cette forêt transformée en véritable charnier. Tous étaient des adeptes de l’Église Internationale de la Bonne Nouvelle (Good News International Church) où Paul Mackenzie Nthengue prêchait un jeûne extrême comme moyen de rencontrer Dieu.

Les recherches ont permis de retrouver jusqu’à présent 39 personnes vivantes dans la vaste zone de «bush» de 325 hectares quadrillée par les enquêteurs, certains refusant l’eau et l’aide offerts par les services de secours.

Les enquêteurs redoutent de trouver de nouvelles victimes lors des recherches de fosses communes qui se poursuivent, après une pause dans les recherches de fosses communes pour mener des autopsies et désengorger les morgues. Un responsable de la Croix-Rouge kényane a indiqué que 311 personnes, «dont 150 mineurs», ont été déclarés disparues auprès de l’organisation à Malindi.

Des proches attendent des nouvelles dans la forêt de Shakahola, où 98 corps ont été exhumés jusqu’à présent, à la morgue de l’hôpital de Malindi Sub-County, à Malindi, le 26 avril 2023. © Yasuyoshi CHIBA / AFP

Des accusations datant de plusieurs années

Cette affaire a également soulevé de nombreuses interrogations sur des failles des autorités policières et judiciaires, qui connaissaient le «pasteur» depuis plusieurs années. Il avait été arrêté une première fois en 2017, accusé de «radicalisation» parce qu’il prônait de ne pas scolariser les enfants, affirmant que l’éducation n’était pas reconnue dans la Bible.

Selon Hussein Khalid, directeur de l’ONG Haki Africa qui a alerté la police sur les activités de Paul Mackenzie Nthenge, le «pasteur» avait préconisé d’affamer les enfants en premier, puis les femmes et enfin les hommes avant la fin du monde qui devait venir en juin.

Paul Mackenzie Nthenge avait de nouveau été arrêté le mois dernier, après la mort de deux enfants affamés par leurs parents liés à la secte. Il avait rejeté les accusations et avait été libéré contre une caution de 100.000 shillings kényans (environ 670 euros). Il doit désormais comparaître devant un tribunal le 2 mai.

«Elle était tellement faible»

Les familles de membres de la secte ont afflué à la morgue de l’hôpital de la ville de Malindi pour connaître le sort de leurs proches. Parmi eux, Issa Ali attend, sans grand espoir, de savoir si sa mère se trouve parmi les corps découverts. Adepte de la secte, elle l’avait emmené dans la forêt de Shakahola en 2020, avant que son père ne l’en sorte l’an dernier.

«La dernière fois que j’ai vu ma mère c’était en février. Elle était tellement faible», explique le jeune homme de 16 ans.

La grande sœur de Bethy Kahindi, Mary, en faisait également partie. La dernière fois que Bethy l’a vue, c’était en juin 2022. «Elle m’a dit qu’elle allait rencontrer Jésus et que nous nous reverrions au paradis». Sur un cliché pris avant 2020, Mary, souriante, mange avec appétit. Sur un autre, pris l’an dernier, elle apparaît vêtue d’un long voile blanc, le corps émacié.

Bethy Kahindi, 37 ans, montre une photo sur son téléphone de trois des six filles de sa sœur de 45 ans alors qu’elle cherche leurs corps à la morgue de l’hôpital de Malindi Sub-County à Malindi, le 26 avril 2023. © Yasuyoshi CHIBA / AFP

Des mesures du gouvernement

Des poursuites pour «terrorisme» sont envisagées contre Paul Mackenzie Nthenge, a indiqué mardi le ministre de l’Intérieur Kithure Kindiki. Au moins 22 personnes ont été arrêtées dans le cadre de ce qui est désormais appelé «le massacre de Shakahola».

Le président kényan William Ruto a lui promis des mesures contre les pasteurs autoproclamés, «qui veulent utiliser la religion pour promouvoir des idéologies louches et inacceptables».

Ce scandale a également ravivé également le débat sur le contrôle des cultes au Kenya, pays majoritairement chrétien, où des «pasteurs», «Eglises» et autres mouvements religieux marginaux défraient la chronique.

Kithure Kindiki a affirmé dimanche que ce massacre devait amener à «non seulement à la plus sévère des punitions pour le ou les auteurs de l’atrocité (…), mais aussi à une réglementation plus stricte (y compris l’auto-réglementation) de chaque église, mosquée, temple ou synagogue à l’avenir».

@Salomé Robles avec AFP

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