Un journaliste américain du « Wall Street Journal » arrêté en Russie et placé en détention pour espionnage

Le quotidien, qui « réfute avec véhémence » ces accusations d’espionnage, s’est dit, jeudi, « profondément préoccupé pour la sécurité » d’Evan Gershkovich.

Un tribunal russe a placé, jeudi 30 mars, en détention provisoire pour deux mois le journaliste américain du quotidien Wall Street Journal, Evan Gershkovich, arrêté et accusé d’espionnage. Un cas sans précédent dans l’histoire récente du pays dans un contexte de répression depuis l’offensive contre l’Ukraine. « Une mesure préventive a été choisie sous la forme d’une détention (…) jusqu’au 29 mai 2023 », a souligné la cour dans un communiqué. Sa détention peut être prolongée à l’issue de cette période.

Il est « soupçonné d’espionnage au profit des Etats-Unis » et de collecter des informations « sur une entreprise du complexe militaro-industriel » russe. Un crime passible de dix à vingt ans de prison, selon l’article 276 du code pénal russe.

Elle a ajouté que le reporter n’était « pas le premier Occidental célèbre à être pris la main dans le sac » et que d’autres avaient « utilisé le statut de “correspondant étranger” à des fins de couverture de leurs activités ».

Le Quai d’Orsay « particulièrement inquiet »

Le Wall Street Journal, qui « réfute avec véhémence » ces accusations d’espionnage, s’est dit, jeudi dans un communiqué, « profondément préoccupé pour la sécurité » de son journaliste arrêté en Russie.

« Nous sommes particulièrement inquiets et nous avons eu l’occasion de condamner l’attitude répressive de la Russie », que ce soit à l’égard de la presse russe ou de la presse étrangère, a déclaré Anne-Claire Legendre, porte-parole du ministère des affaires étrangères français, lors d’un point de presse.

L’ONG Reporters sans frontières a dit s’« alarm[er] » de « ce qui semble être une mesure de représailles : les journalistes ne doivent pas être pris pour cible ».

Le Kremlin a mis en garde jeudi Washington contre toute forme de représailles visant les médias russes travaillant aux Etats-Unis. « Nous espérons qu’il n’y en aura pas, et il ne doit pas y en avoir », a dit à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, interrogé sur l’éventualité que les bureaux de médias russes aux Etats-Unis soient soumis à des vérifications.

Législation réprimant l’espionnage durcie

Avant de rejoindre le quotidien américain en 2022, M. Gershkovich était un correspondant de l’Agence France-Presse (AFP) à Moscou, et avant cela, du journal en langue anglaise Moscow Times. Parfaitement russophone, le journaliste de 31 ans est d’origine russe et ses parents sont installés aux Etats-Unis.

Le centre d’analyse R.Politik relève que la Russie a récemment durci sa législation réprimant l’espionnage depuis qu’elle a envahi l’Ukraine. « Le problème est que la nouvelle législation russe (…) permet de mettre en prison pour vingt ans n’importe qui s’intéressant aux affaires militaires, à l’“opération militaire spéciale”, aux groupes militaires privés [comme Wagner], à l’état de l’armée. » Le service fédéral de sécurité russe (FSB) aurait pu prendre le journaliste « en otage » en vue d’un éventuel échange de prisonniers.

Des échanges russo-américains ont eu lieu à quelques reprises ces dernières années. Interrogée sur un potentiel futur échange avec Washington, la diplomatie russe a jugé le sujet prématuré, appelant son vice-ministre des affaires étrangères, Sergueï Riabkov, à « voir comment cette histoire évolue ».

Plusieurs ressortissants américains sont encore détenus en Russie, dont l’un, Paul Whelan, purge une peine de seize ans de prison pour « espionnage » dans une affaire que l’intéressé et Washington jugent montée de toutes pièces. Il a été arrêté en 2018 et des négociations sont en cours depuis plusieurs années pour le faire libérer. L’ex-militaire de 53 ans souffre, selon sa famille, de problèmes de santé dans sa prison, située dans la région russe de Mordovie.

Répression de l’opposition et des médias indépendants

Le dernier échange en date entre Moscou et Washington a eu lieu en décembre lorsque la Russie a remis la basketteuse américaine Brittney Griner, détenue pour trafic de drogue, contre la libération du trafiquant d’armes Victor Bout incarcéré aux Etats-Unis.

Un autre Américain est actuellement détenu en Russie, Marc Fogel, un ancien diplomate qui travaillait comme enseignant dans une école américaine de Moscou. Il a été condamné en juin 2022 à quatorze ans de prison pour trafic de cannabis « à grande échelle ». Les autorités russes ont affirmé avoir trouvé dans ses bagages de la marijuana et de l’huile de haschisch, lors d’un contrôle de douane à son arrivée à l’aéroport Cheremetievo de Moscou.

Si la presse et les journalistes russes critiques du Kremlin sont souvent la cible de poursuites pénales en Russie, les journalistes étrangers ont eux été épargnés, Moscou ayant préféré expulser des correspondants et durcir les règles d’accréditation.

Depuis le lancement de l’offensive russe contre l’Ukraine, les autorités russes ont cependant accéléré la répression de l’opposition et des médias indépendants, généralement en usant de dispositions du code pénal réprimant le fait de « discréditer l’armée ».

En parallèle, pour les journalistes étrangers, les conditions de délivrance des accréditations, dont dépendent les visas, ont été durcies. Des reporters étrangers sont aussi parfois suivis par le FSB lors de leurs reportages, notamment en dehors de Moscou. Dans ce contexte, de nombreux médias occidentaux ont fortement réduit leur présence en Russie depuis l’entrée des forces russes en Ukraine en février 2022.

 

 

@Le Monde avec AFP

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