Le géant du basket Michael Jordan investit dans les très «blanches» courses de stock-car

Enfant de Caroline du Nord, le berceau de la Nascar (National Association for Stock Car Auto Racing), Michael Jordan va lancer, dès l’an prochain, son écurie au sein de cet organisme qui régit les courses automobiles de stock-car aux États-Unis. L’ex-superstar du basket-ball sera le premier propriétaire noir en près de 50 ans dans un sport mécanique qu’il adore mais dont il veut changer l’image.

Il faut moins de dix minutes à pied pour rejoindre le panthéon du Nascar (Hall of Fame) depuis la salle des Charlotte Hornets, l’équipe de la ligue nord-américaine de basket-ball (NBA) détenue par Michael Jordan. Une proximité qui aide à comprendre (un peu) pourquoi le meilleur basketteur de tous les temps a décidé d’investir dans un sport mécanique si associé au sud des États-Unis.

Car le héros de Chicago vient du sud, lui aussi. Il a grandi en Caroline du Nord, le berceau de la discipline. Quand il a annoncé le 21 septembre 2020, à la stupéfaction quasi-générale, qu’il lançait sa propre écurie, il a dû rappeler qu’il a été « fan de Nascar toute sa vie ». Quand il était gamin, son père emmenait souvent la famille voir ces bolides tourner sur des circuits en ovale dans un bruit d’enfer.

Qui connaissait cette photo vue sur Twitter ces derniers jours ? Un jeune « MJ », encore à North Carolina, sourit aux côtés du pilote Richard Petty, l’autre légende locale. Et qui se rappelle de l’équipe Michael Jordan Motorsports engagée en championnat AMA Superbike entre 2004 à 2013 ?

Celui qu’on surnomme « His Airness » ne débarque pas tout seul dans le sport. Son ami Denny Hamlin – accessoirement l’un des meilleurs pilotes actuels de Nascar – l’accompagne. Ils se connaissent depuis 15 ans. Hamlin a ses habitudes au bord du parquet des Hornets et il compte la marque Jordan Brand parmi ses sponsors.

« Timing parfait »

Les deux hommes n’ont pas choisi n’importe qui pour conduire la seule voiture de leur équipe. Cet été, un pilote a fait parler de lui plus que tous les autres. Bubba Wallace, 26 ans, a convaincu la Nascar d’interdire le drapeau confédéré lors des Grand Prix. Le seul pilote noir du plateau n’était logiquement pas très à l’aise avec la bannière du camp esclavagiste pendant la Guerre de Sécession, toujours très visible dans des tribunes de Nascar, composées à 75% de spectateurs blancs (d’après une étude de l’Associated Press).

« C’est une opportunité unique, qui n’arrive qu’une fois dans une vie », s’est réjoui Wallace, félicité sur Twitter par le pilote de Formule 1 Lewis Hamilton. Voilà donc le seul pilote noir du plateau au service du premier propriétaire noir depuis Wendell Scott dans les années 1970. « Historiquement, la Nascar a eu du mal avec la diversité », reconnaît Michael Jordan. Le timing m’a semblé parfait. La Nascar évolue et embrasse de plus en plus les changements sociaux. Je vois cela comme une chance d’éduquer un nouveau public et d’offrir de nouvelles opportunités aux Noirs dans la course automobile ».

Il y a moins d’un an pourtant, interviewé sur NBC avant une course, l’ex-numéro 23 des Bulls de Chicago confiait ne pas avoir d’ambition dans le sport. « J’ai déjà beaucoup à faire. Je préfère rester sur mon canapé et suivre tout ça de loin », avait-il déclaré d’un air détaché. Mais depuis, de Minneapolis à Louisville en passant par Portland, la rue a obligé la société américaine à faire face à son racisme.

Le spectre de l’échec

Après la mort de George Floyd, Jordan a évoqué sa « colère » et sa « douleur », assurant : « C’est un tournant. Nous devons prendre position. » Lui à qui on a reproché la formule « les Républicains achètent des baskets aussi » et plus globalement, de se tenir à l’écart des luttes des Afro-américains, s’est réveillé. Début juin, il a sorti le portefeuille en s’engageant à verser 100 millions de dollars de sa fortune personnelle (estimée par le magazine Forbes à 1,6 milliard de dollars) à des associations œuvrant pour la justice sociale. Fin août, il a joué un rôle-clé dans les discussions entre joueurs et propriétaires lors du boycott en NBA.

« Michael Jordan parle plus qu’il ne l’a jamais fait », a salué Stephen A. Smith, journaliste vedette d’ESPN : « Nous vivons à une époque où rester silencieux n’est ni intelligent, ni sage. Vous n’êtes pas du bon côté de l’histoire. Surtout quand vous avez autant d’influence et de pouvoir. »

Trop heureuse de l’impact médiatique à venir, la Nascar l’accueille en tout cas à bras ouvert. « Nous souhaitons fièrement la bienvenue à Michael Jordan dans la famille », dit son communiqué. « C’est énorme et je suis excité pour tous les acteurs engagés », s’est réjoui Jimmie Johnson, l’une des stars du championnat.

« Moi, je m’en fiche », relativise Al Hamlin, suiveur occasionnel de la Nascar, plutôt spécialiste de NBA. « À l’évidence, il ne sait pas de diriger une franchise. Regardez les Hornets. C’est un juste coup de pub », ajoute-t-il, faisant référence à la médiocrité continue de Charlotte avec Jordan à sa tête (3 phases finales disputées en 11 saisons).

Il faudra attendre encore un peu pour connaître le nom de l’équipe et avoir une idée des moyens à sa disposition. Mais la présence de Jordan et Wallace devrait attirer les sponsors, y compris ceux que l’image de la Nascar avait rebutés jusqu’ici. Quant au numéro de la voiture, dur de ne pas penser au 23. « C’est Bubba qui décidera », a toutefois promis « MJ » au Charlotte Observer.