Le Festival de Cannes 2022 s’ouvre, mais vers quel horizon?

Ce mardi 17 mai au soir, le plus grand festival de cinéma au monde ouvre grand ses portes. Le Festival de Cannes accueille cette année 21 films en compétition pour la Palme d’or. Les défis de cette 75e édition ne seront pas uniquement cinématographiques. D’autres questions feront rage sur la Croisette : la menace des plateformes, la guerre en Ukraine, la place des femmes, de l’environnement, de l’Afrique, de l’Inde…

Le fameux tapis rouge a été déroulé ce matin à 11h pour la première montée des marches ce soir. Pendant deux semaines, des stars du monde entier s’y presseront pour épater les photographes et le public de l’événement culturel le plus médiatisé au monde. Tom Cruise, Kristen Steward, Isabelle Huppert, Viggo Mortenson, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Anthony Hopkins, Anne Hathaway, mais aussi Diam’s… sont les vedettes les plus attendues de cette édition anniversaire. La cérémonie d’ouverture aura lieu dès 19h dans le Grand Théâtre Lumière du Palais des Festivals, mais elle sera aussi retransmise en direct dans 300 salles de cinéma dans toute la France.

Le Festival de Cannes et la guerre en Ukraine

Après une édition 2020 annulée et une édition 2021 mitigée, car reportée en juillet, l’obligation de tests et de masques n’est plus à l’ordre du jour. À la place, la guerre en Ukraine s’est imposée au rendez-vous incontournable du cinéma. Le Festival, longtemps adepte de la formule : « Ce n’est pas le Festival, mais les films qui sont politiques », a dû prendre position et bannir les délégations russes de Cannes. En revanche, La Femme de Tchaïkovski du désormais exilé réalisateur russe Kirill Serebrennikov – qui fera en juillet aussi l’ouverture du Festival d’Avignon avec Le Moine noir, d’après Tchekhov – a été hissé comme un étendard. En effet, l’artiste russe, connu pour ses engagements hostiles à la politique de Poutine, s’y prête à merveille, sachant que la mère de Serebrennikov était ukrainienne.
Pour affirmer le soutien du Festival au peuple ukrainien, Thierry Frémaux a programmé deux films ukrainiens en sélection officielle. Sergei Loznitsa, grand habitué du Festival, est un chroniqueur unique de la tragédie et la combativité des Ukrainiens, de la révolution Maïdan en 2014, jusqu’au début de la guerre au Donbass. Cette année, en séance spéciale, il donnera une dimension historique aussi spectaculaire que provocante à ses recherches cinématographiques avec The Natural History of Destruction, d’après un livre de l’Allemand W.G. Sebald évoquant la destruction des villes allemandes par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. La prestigieuse section parallèle Un certain regard accueille le jeune Ukrainien Maksim Nakonechnyi avec Butterfly Vision. C’est l’histoire d’une jeune enseignante engagée et enlevée dans la guerre. Sans oublier la projection très attendue de Mariupolis 2 du réalisateur lituanien Mantas Kvedaravicius, tué début avril à Marioupol en Ukraine pendant le tournage de ce film montrant la vie sous les bombes.

« Coupez ! » – Le cinéma et le monde d’après

La soirée d’ouverture fait abstraction de cette actualité sous les bombes, avec Coupez !, le nouveau film de Michel Hazanavicius. Vu l’humour très décalé de cette comédie de zombies, le festival jouera gros, même si le film reste hors compétition. Les 21 films en lice pour la Palme d’or, sélectionnés par le directeur artistique du Festival, Thierry Frémaux, quel monde d’après (le confinement de l’époque Covid-19) dessinent-ils ? D’abord, les réalisateurs semblent avoir très envie de raconter beaucoup de choses. La majorité des films dépassent les deux heures, et surtout, dans aucun d’entre eux les contraintes provoquées par le coronavirus jouent un rôle central.
David Cronenberg nous offrira avec Les crimes du futur une plongée dans un monde de corps humains transformés et mutés. Les frères Dardenne abordent le destin de deux jeunes exilés en Belgique. Claire Denis se lance dans un polar diplomatique. Le réalisateur polonais Jerzy Skolimowski nous fait découvrir un monde mystérieux à travers les yeux d’un âne gris. Le Japonais Hirokazu Kore-eda part en road-movie. Cristian Mungiu raconte le retour plein d’espoir d’un Roumain dans son village natal en Transylvanie, après avoir quitté son emploi en Allemagne. James Gray nous fait revivre les années 1980 dans le quartier du Queens à New York ou un promoteur immobilier sans scrupules fait régner sa loi. Son nom : Fred Trump, père du futur président des États-Unis. Ruben Östlund s’amuse à bousculer le monde de mannequins et influenceurs rassemblés sur un yacht pour une croisière de luxe. Saeed Roustaee nous confronte aux dilemmes moraux insolubles de la société iranienne. Et Tarik Saleh se concentre sur le fils d’un pêcheur qui intègre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire pour parler des luttes de pouvoir entre les élites religieuse et politique dans l’Égypte d’aujourd’hui.

Quelle place pour l’Afrique ?

Tarik Saleh, né en 1972 à Stockholm, d’origine égyptienne, sera bel et bien le seul cinéaste d’origine africaine en lice pour la Palme d’or, même si Boy from Heaven, tourné en Suède et au Maroc, a été rendu possible grâce à des boîtes de production basées en France, Suède, Maroc et Finlande… Donc, après une dizaine de réalisateurs africains en compétition ces derniers dix ans (avec le Prix du Jury pour le Tchadien Mahamat Saleh Haroun en 2010 et le Grand Prix pour la Franco-Sénégalaise Mati Diop en 2019), on attendra toujours la deuxième Palme d’or africaine après celle de la Chronique des années de braise de l’Algérien Mohammed Lakhdar-Hamina en 1975.

La montée inexorable des femmes

Oui, seulement cinq des 21 films en compétition sont réalisés par une cinéaste. Mais malgré ce chiffre, la tendance reste plutôt très positive pour les femmes. D’abord, cinq, cela signifie une cinéaste de plus en lice pour la Palme d’or. Ensuite, la prestigieuse section parallèle : un certain regard atteint cette année presque l’égalité avec 9 films sur 19 signés par une réalisatrice. Sans oublier que l’année dernière, Julia Ducournau est devenue avec son film monstre Titane la deuxième femme dans l’histoire du Festival à décrocher la Palme d’or. La plus haute distinction a été attribuée par un jury pour la première fois à majorité féminine. Cette année aussi, le jury sous la présidence de Vincent Lindon est composé de quatre hommes et quatre femmes, dont Deepika Padukone. La star de Bollywood, connue pour ses habits flamboyants, sera certainement une des reines du tapis rouge, mais en même temps aussi l’ambassadrice de l’Inde, pays à l’honneur du Marché du film 2022, avec six films projetés au Marché, mais aucun en sélection officielle.

Une nouvelle ère pour Netflix à Cannes avec Iris Knobloch à la tête du Festival ?

Pour les femmes, même à la tête de cette manifestation qui ambitionne de rester la référence artistique absolue du cinéma mondiale, les choses changent. À partir du 1er juillet, le Festival de Cannes, joyaux du rayonnement culturel de la France, sera pour la première fois présidée par une femme, de surcroit allemande. Iris Knobloch aura un rôle décisif à jouer dans la question sensible des relations avec les plateformes, notamment avec Netflix. Ce dernier, suite à l’accord historique conclu en février avec les organisations professionnelles du cinéma en France, aura de plus en plus de poids dans l’industrie cinématographique française. Or, aujourd’hui, le Festival de Cannes reste le seul des grands festivals de cinéma à écarter des films de la plateforme de streaming de la compétition pour sauver la chronologie des médias et soutenir les salles de cinéma. Or, depuis le confinement, les habitudes ont changé, et même les cinéphiles ont du mal à retourner dans les salles obscures et d’abandonner les plateformes ou les sites de streaming qui leur ont procuré un équilibre cinématographique pendant la pandémie.

Le cinéma e(s)t le climat

Quant aux engagements écologiques pris l’année dernière, on a l’impression qu’ils sont passés au second plan. Affichés de façon très appuyée lors de l’édition précédente, avec une action spéciale Le cinéma pour le climat, cette très remarquée sélection de films sur l’environnement n’a pas été renouvelée. Et aucun bilan écologique de l’édition 2021, ni d’ambition écologique pour l’édition 2022, ont été présentés lors de la conférence de presse d’ouverture alors que la catastrophe climatique se dessine de manière encore plus menaçante à l’horizon. En revanche, dans les coulisses, le travail continue. Le 20 mai, Marion Cotillard, Cyril Dion et Magali Payen lancent à Cannes leur nouvelle société de production « Newtopia », dont la promesse se résume à une phrase : « Pour créer un Nouveau Monde, commençons par l’imaginer ». Un autre changement d’ère a déjà commencé. Depuis l’année dernière, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a décidé d’obliger à partir de 2023 toute œuvre et tout projet financés par le CNC de réaliser un bilan carbone. Et vers la fin du Festival, le 26 mai, le CNC organisera une table ronde autour des tournages écoresponsables. En attendant la création d’une Palme écologique, le CNC re mettra pour la première fois le prix Ecoprod à « un long métrage présenté à Cannes et produit de la manière la plus éco-responsable possible ».

@RFI

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