Malika Tirolien : Jazz et Gwoka, la fierté du retour aux sources

En ce samedi 27 juin, Journée canadienne du multiculturalisme, ouverture en puissance de la 41e édition du Festival international de Jazz de Montréal entièrement numérique avec le « Malika Tirolien Band».

Habituée du Festival, puisqu’elle y prend part cette année pour la 3ème fois en solo, nous avons échangé avec Malika Tirolien, une artiste au parcours riche en collaborations et en créations personnelles.

Auteure-compositrice-interprète d’origine guadeloupéenne, elle vit à Montréal depuis plusieurs années. Après avoir terminé ses études de jazz à l’Université de Montréal, elle intègre le collectif Kalmunity Vibe, devient la chanteuse de Groundfood et forme également son groupe solo.

En 2013 elle est remarquée lors de sa collaboration avec le groupe Snarky Puppy sur la chanson «I’m not the one» tirée de l’album «Family Dinner» récompensé aux grammys. Son premier album Sur la Voie Ensoleillée suit en 2014 et atteint le #5 du palmares r&b soul de Itunes Canada. En 2016, elle intègre le groupe BOKANTÉ, fondé par Michael League, le leader de Snarky Puppy. C’est avec cette formation, constituée de plusieurs musiciens de différents pays, qu’elle foule le tapis rouge des Grammy Awards en janvier 2020 pour une nomination de leur album «What Heat» (en collaboration avec le Metropole Orkest de la Hollande) dans la catégorie « Musiques du monde ». Le prix sera finalement remporté par Angélique Kidjo.

Vous avez intégré le groupe BOKANTÉ en 2016 et c’est avec cette formation que vous vous êtes rendu à Los Angeles en début d’année aux prestigieux Grammy Awards. Que retenez-vous de cette expérience et qu’est-ce que cela a changé dans votre carrière ?

Aller aux Grammy c’était un rêve de petite fille. La nomination a été un grand moment pour le groupe qui n’en est qu’à son deuxième album. On est très reconnaissant pour ce clin-d ’œil, mais en même temps cela ne veut pas tout dire. C’est une plateforme qui nous a aidés, car cela a permis à de nouvelles personnes de nous connaitre et d’avoir accès à notre musique. Cependant, on continue à travailler comme on a l’habitude de le faire, en offrant aux gens une musique honnête et intègre qu’on se force de peaufiner au maximum.

La nomination renforce la crédibilité du groupe, accroit notre visibilité et la possibilité à des collaborations futures mais le travail continue de notre côté même si l’arrivée de la COVID-19, n’a pas facilité les choses.

Comment cette crise sanitaire a-t-elle impacté votre métier ? 

Cela a impacté mon métier dans la mesure où plus personne ne pouvait vivre de son art. Beaucoup d’artistes ont vu leur source de revenus principale affectée. Mais le côté positif est qu’on peut prendre du temps pour réfléchir, ouvrir son esprit à d’autres possibilités. On accueille positivement tout ce qui peut nous permettre d’aboutir à quelque chose de meilleur.

Vous avez une formation en jazz, est-ce que votre style musical se résume au jazz ?

Je suis ouverte à plusieurs styles musicaux. J’aime énormément le jazz, mais je suis aussi fan de Hip-hop, de R&B et de Soul. Plus récemment, je m’intéresse énormément au Gwoka qui est une des musiques traditionnelles en Guadeloupe. C’est une musique revendicatrice qui était à la fois un moyen de communication entre les africains envoyés aux Antilles et une façon pour ces derniers de demeurer connectés au continent par la mémoire. De pouvoir être libre de jouer de cette musique jadis interdite par les colons français me rend fière. Attirée par les musiques d’ailleurs auparavant, en vieillissant je réalise la richesse ancrée dans le fait de revenir à soi, à sa propre culture, à sa propre histoire à travers le Gwoka.

Pourquoi avoir choisi le Jazz ?

Très franchement, j’étais d’abord attirée par la Soul, le R&B et le Hip-Hop. Malheureusement, il n’y avait pas de formation universitaire dans ces genres musicaux. Le plus proche était de revenir à la source de toutes ces musiques, et la source c’est le jazz. Je me suis dit que si je comprenais la source, je comprendrais la suite également. En commençant à étudier le jazz, cela m’a complètement éblouie, j’en suis tombée amoureuse.

Qu’est-ce qui inspire vos compositions ?

Tout est une source d’inspiration. Un livre, un article, un morceau de musique, un moment en pleine nature, le vécu, la parole d’un proche, etc. l’inspiration est partout et c’est ce qui est beau avec l’art. Les sources d’inspiration sont inépuisables.

Que représente pour vous cette participation à cette édition spéciale du festival de Jazz de Montréal 2020 ?

Une belle initiative de solidarité. Une manière de permettre aux artistes de se reconnecter graduellement entre eux et avec le public. Après tous ces mois sans pouvoir jouer, se voir, répéter ensemble, c’est une très grande joie. C’est le plus proche qu’on va être de retourner sur scène, même s’il n’y aura pas de public.  On est vraiment reconnaissant que le Festival ait eu envie de maintenir une édition différente malgré la COVID-19. C’est cela qui se fera ressentir durant le festival.

Vous y avez participé ce 27 juin, journée canadienne du multiculturalisme. Que pensez-vous du multiculturalisme au Canada ?

Mettre en avant la pluralité culturelle du Canada est une bonne chose. C’est aussi bon de trouver une unité à travers la diversité culturelle et la considérer comme une richesse plutôt qu’un danger. Il faut accepter et assumer cette richesse que nous avons. Les canadiens et québécois noirs sont encore sous représentés dans de nombreux domaines. Un travail de fond devra être fait mais le plus important est de commencer et de rester positif par rapport à tout ce qui a déjà été amorcé.

Quels sont les artistes que vous admirez ?

Il y a énormément d’artistes que je respecte. J’espère pouvoir inspirer les jeunes autant que ces derniers m’ont inspirée: Michael Jackson, Kendrick Lamar, Beyoncé, Bob Marley, Lauryn hill…Des figures emblématiques qui ont su rejoindre les gens grâce au pouvoir de leur voix et de leur musique mais aussi grâce à la puissance de leur message engagé. Un message qui incite à la libération des peuples opprimés et à la création d’un monde équitable, pacifique et juste. Un message important qu’il faut continuer à porter.

Parlant d’engagement, pensez-vous que les manifestations autour de la mort de George Floyd vont apporter un changement ?

Je pense et j’ose espérer que tout ce qui se passe actuellement aura un impact décisif et positif sur le futur. Il faut que la considération portée aux choses essentielles, impulsée par la COVID-19, ait servi à concentrer notre énergie vers un changement positif. Nous vivons un moment historique et les inégalités sociales et la brutalité policière durent depuis trop longtemps. Il est temps de s’élever et de changer le narratif qui accable les populations noires et autochtones du monde entier. Notre chance c’est maintenant.

À quand la sortie de votre album initialement prévue pour 2020 ?

La pause a permis d’avancer sur certaines choses mais elle a également occasionné un délai supplémentaire pour d’autres, malheureusement. Mais je crois au « timing » divin, je me dis que lorsqu’il sortira ce sera le moment parfait.

 

Malika Tirolien, merci d’avoir répondu à nos questions.

 

Myriam Matondo Nkenda

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