Sommet Poutine-Biden : ces six dossiers sur lesquels ils risquent de se fâcher

Des accusations d’attaques informatiques et de violations des droits humains aux tensions militaires entre les deux pays, les présidents russe et américain auront beaucoup à discuter lors de leur rencontre mercredi à Genève.

Leur rencontre sera scrutée dans le monde entier. Le président américain Joe Biden et son homologue russe Vladimir Poutine doivent se retrouver, mercredi 16 juin, à Genève, en Suisse, pour la première fois depuis l’arrivée de l’ancien vice-président de Barack Obama à la Maison Blanche. Preuve que les tensions sont vives, depuis le printemps, Moscou et Washington ont rappelé leurs ambassadeurs respectifs.

Cette rencontre sera donc l’occasion pour eux d’évoquer la pile de contentieux entre leurs deux pays, des accusations d’attaques informatiques aux soupçons de violations des droits humains, en passant par les tensions militaires. Voici un aperçu de ce qui pourrait, une fois encore, les diviser.

1 Les accusations d’ingérence russe dans les élections et de cyberattaques

Les services secrets américains assurent que la Russie a interféré avec l’élection présidentielle américaine de 2016 grâce à des tentatives d’intrusion dans l’infrastructure des systèmes de vote, la diffusion d’e-mails du Parti démocrate volés par piratage, et une campagne sur les réseaux sociaux. Ils estiment également que des tentatives d’ingérence ont eu lieu pour l’élection présidentielle de 2020.

Par ailleurs, plusieurs grandes entreprises américaines, comme le géant de la viande JBS ou l’opérateur d’un immense oléoduc américain, Colonial Pipeline, ont récemment été victimes de cyberattaques au rançongiciel attribuées à des groupes de hackers basés en Russie. Interrogé sur l’ingérence russe lors d’un entretien diffusé sur ABC News en mars, le président américain avait répété que Vladimir Poutine «en paierait les conséquences». Le 15 avril, Joe Biden avait par ailleurs signé des sanctions contre la Russie et expulsé dix diplomates en réponse à l’ingérence russe et aux cyberattaques, avant de rappeler son ambassadeur en Russie.

Lundi 14 juin, Vladimir Poutine a jugé «grotesque» de considérer que Moscou menait une guerre informatique contre les Etats-Unis, dans une interview à la chaîne NBC (en anglais)«Nous avons été accusés de toute sorte de choses», notamment «l’ingérence dans des élections» ou «les cyberattaques», a déclaré le président russe, à deux jours du sommet, affirmant que «pas une seule fois, ils n’ont pris la peine de produire la moindre preuve».

2 Le sort de l’opposant russe Alexeï Navalny

La bête noire du Kremlin a survécu en août 2020 à un empoisonnement dont il accuse Vladimir Poutine. La Russie rejette l’accusation et a refusé d’enquêter, en dépit d’un faisceau d’indices impliquant les services secrets. Depuis des mois, l’opposition russe est par ailleurs sous une pression accrue, marquée par l’envoi d’Alexeï Navalny en colonie pénitentiaire pour deux ans et demi, l’exil de plusieurs cadres de son mouvement, mais aussi des mesures ciblant la presse indépendante et d’autres voix critiques. Début juin, la justice russe a considéré les organisations de l’opposant comme «extrémistes», leur interdisant de fait la possibilité de se présenter à des élections.

Lors d’un entretien diffusé sur ABC News en mars, Joe Biden a provoqué la première crise diplomatique de son mandat, approuvant le qualificatif de «tueur» pour désigner Vladimir Poutine, sans préciser s’il faisait référence à Alexeï Navalny. «C’est celui qui le dit qui l’est !» a répondu Vladimir Poutine le lendemain, avant de rappeler son ambassadeur. Interrogé samedi dernier sur le mot «tueur», il a eu un petit rire : «Je me suis habitué à des attaques sous tous les angles et de toutes parts sous toutes sortes de prétextes et de raisons.»

«La mort de Navalny serait une autre indication que la Russie n’a aucune intention de respecter les droits humains fondamentaux», a de son côté mis en garde Joe Biden, lundi. «Ce serait une tragédie. Cela ne ferait qu’endommager les relations avec le reste du monde, et avec moi», a-t-il ajouté. De son côté, Vladimir Poutine a estimé le même jour que l’opposant ne serait «pas plus mal traité que n’importe qui d’autre» et qu’il n’avait «pas (…) l’habitude d’assassiner qui que ce soit».

3 La crise en Ukraine

La Russie a annexé la Crimée en 2014. Selon Kiev et l’Occident, elle soutient par ailleurs les séparatistes prorusses dans l’est de l’Ukraine, qui se battent contre les forces du gouvernement. Ce que Moscou nie farouchement. Depuis 2014, le conflit a fait plus de 13 000 morts et environ 1,5 million de déplacés. En avril, la tension est montée d’un cran entre les deux pays, Moscou ayant massé jusqu’à 100 000 soldats à la frontière ukrainienne, faisant craindre une invasion. Parallèlement, des incidents meurtriers se sont multipliés depuis le début de l’année sur la ligne de front dans l’est de l’Ukraine après une trêve record en 2020.

Lors d’un sommet de l’Otan le 14 juin, le président américain a dénoncé les «actes agressifs de la Russie» et insisté sur sa volonté et celle de l’Otan de «soutenir l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine». «Nous ferons tout notre possible pour que l’Ukraine puisse résister à l’agression», a assuré Joe Biden. «Tant que la Russie ne montre pas qu’elle respecte le droit international et qu’elle honore ses obligations et responsabilités internationales, il ne peut y avoir de retour à la normale», ont averti les Alliés. Mais «nous restons ouverts à un dialogue périodique et substantiel», ont-ils assuré.

Par ailleurs, le Pentagone a annoncé vendredi 11 juin avoir accordé une nouvelle tranche d’assistance militaire à l’Ukraine de 150 millions de dollars, qui s’ajoute aux 125 millions déjà débloqués en mars. Cette assistance est destinée à «aider les forces ukrainiennes à préserver l’intégrité territoriale de leur pays et à améliorer leurs capacités d’interopérabilité» avec les systèmes d’armement de l’Otan, selon le Pentagone.

4 La répression en Biélorussie

Le gouvernement d’Alexandre Loukachenko mène depuis des mois une répression féroce contre l’opposition, qui dénonce sa réélection en août 2020 à la tête du pays. Fin mai, le journaliste d’opposition Roman Protassevitch a été arrêté après l’atterrissage forcé de son avion à Minsk alors qu’il était en route vers la Lituanie. Or, la Biélorussie et la Russie sont alliées et sont engagées dans un processus d’intégration politico-économique. Par ailleurs, des rumeurs ont circulé sur l’implication des services secrets russes dans le détournement de l’avion, qui n’ont pour l’instant pas été vérifiées.

«Le Kremlin – s»il ‘couvre’ Loukachenko – semble un peu gêné par cette affaire. En effet, tout ce qui peut créer des tensions avant la rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine (…) n’est pas bienvenu», expliquait fin mai à franceinfo Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe à Moscou. Selon lui, «la Russie n’acceptera pas la répétition du scénario ukrainien de 2014» et «le remplacement d’Alexandre Loukachenko est un sujet ancien à Moscou, mais une telle transition est très difficile à mettre en œuvre».

Néanmoins, «pour Moscou, il est absolument exclu d’accepter le basculement de la Biélorussie dans la sphère d’influence occidentale. La Russie va donc continuer à subventionner le pays, à promouvoir une forme d’intégration et – sans doute plus qu’elle le souhaiterait – à protéger le régime de Loukachenko», ajoutait le chercheur.

5 Le contrôle des armes nucléaires

Les Etats-Unis et la Russie possèdent plus de 90% des arsenaux nucléaires
mondiaux, selon un rapport (PDF) de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). Il revient donc aux deux présidents d’impulser d’éventuels pourparlers sur la stabilité stratégique de ces armes. Ils se sont déjà accordés in extremis, fin janvier, sur la prolongation du traité New Start de réduction des armes stratégiques jusqu’en 2026.

Le moment est crucial. «La stratégie nucléaire de la Russie ainsi que son programme complet de modernisation, de diversification et d’expansion de ses systèmes d’armes nucléaires (…) contribuent toujours davantage à une posture d’intimidation stratégique se faisant plus agressive», ont conclu les Alliés de l’Otan à l’issue d’une réunion, lundi 14 juin. Ces derniers se sont également inquiétés d’une coopération militaire entre Russie et Chine, notamment «dans la zone euro-atlantique».

6 Un échange de prisonniers

Les Etats-Unis ont prévenu que le président américain soulèverait avec son homologue russe le sort de Paul Whelan, incarcéré pour espionnage, et Trevor Reed, emprisonné pour avoir agressé, ivre, deux policiers russes. Washington affirme que ses deux ressortissants sont injustement détenus en Russie.

Interrogé lundi sur NBC, Vladimir Poutine s’est montré ouvert à un échange de prisonniers pour raisons «humanitaires» liées «à la santé et à la vie de personnes individuelles». «Ce qui serait encore mieux, ce serait une discussion sur la possibilité de conclure un accord d’extradition», a-t-il ajouté, selon la transcription de l’entretien publiée par le Kremlin. Il a assuré avoir «toute une liste» de prisonniers russes dont il aimerait réclamer la libération en échange. Il a notamment évoqué les «gros problèmes de santé» de Konstantin Iarochenko, pilote russe incarcéré aux Etats-Unis pour trafic de cocaïne, dont la famille a demandé la libération avant le sommet. Tout comme les proches de Viktor Bout, l’un des plus gros trafiquants d’armes du monde, lui aussi détenu outre-Atlantique.

@Le Monde

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