Au Burkina Faso, l’horreur et la sidération après l’attaque qui a fait 160 morts

L’assaut, mené dans la nuit de vendredi à samedi dans le nord-est du territoire, est le plus meurtrier que le pays ait connu depuis le début des violences djihadistes, en 2015.

Cette nuit-là, vers 2 heures du matin, Idrissa (le prénom a été changé) a été réveillé en sursaut par le grondement d’une colonne de motos à Solhan, son village au nord-est du Burkina Faso. Terrifié, le jeune homme de 20 ans s’est réfugié dans la chambre de ses parents. Dehors, les tirs de kalachnikovs et les cris « Allah Akbar » résonnent. Tremblant dans l’obscurité, Idrissa prie pour que les assaillants ne viennent pas les chercher. Trois heures passent, interminables. Jusqu’à ce silence de mort.

Au lever du jour, samedi 5 juin, il se décide à sortir et parcourir les ruelles désertes. Devant lui, l’horreur. L’odeur de suie s’est mêlée à celle du sang. Des maisons, des boutiques brûlées. Une centaine de blessés, allongés sur la terre rouge, le corps criblé de balles. Des femmes et des enfants ensanglantés.

Selon un dernier bilan provisoire, 160 personnes ont été tuées dans l’attaque, la plus meurtrière enregistrée au Burkina Faso depuis le début des assauts djihadistes, en 2015. Parmi les victimes figurent « une vingtaine d’enfants », précise un élu local cité par l’Agence France-Presse. Des « opérations d’envergure » étaient toujours en cours dimanche pour « retrouver et neutraliser les terroristes ». L’assaut n’a pas encore été revendiqué.

Samedi, le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré a dénoncé une « attaque barbare » et décrété un deuil national de soixante-douze heures. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est dit « indigné », soulignant « la nécessité urgente que la communauté internationale renforce son soutien à l’un de ses membres dans son combat contre la violence extrémiste ». Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a annoncé dimanche, sur son compte Twitter, un déplacement « cette semaine » au Burkina Faso pour exprimer « à nouveau la solidarité de la France ».

« C’était un carnage »

Dans ce pays pauvre du Sahel, longtemps considéré comme un pôle de stabilité, le feu djihadiste puis la défiance intercommunautaire se sont étendus, comme au Mali voisin. Les violences y ont déjà fait plusieurs milliers de morts en six ans. Particulièrement dans la zone proche des frontières avec le Mali et le Niger, à laquelle appartient Solhan, située dans la province du Yagha.

Selon des sources locales, les assaillants ont d’abord visé le poste des « VDP », les « volontaires pour la défense de la patrie », créés en décembre 2019, des civils recrutés et formés par l’armée pour lutter contre le terrorisme, avant de s’en prendre à une mine d’or, accolée au village. Adama (le prénom a également été changé) travaillait sur le site quand il a vu un groupe d’hommes, « enturbannés » et vêtus « d’habits militaires », arriver.

« Les déplacés continuent d’arriver, on n’a pas assez d’abris pour accueillir tout le monde », un travailleur humanitaire

« Ils ont dit qu’ils allaient tuer tous les villageois puis ils ont commencé à nous canarder », raconte le rescapé en langue peule, sur son lit d’hôpital à Ouagadougou, où il a été évacué. Si lui a réussi à survivre après avoir reçu trois balles, caché sous un hangar en se faisant passer « pour mort », l’orpailleur de 40 ans a perdu son « fils de 5 ans », tué chez lui. « Ma femme dormait, elle a été blessée, je ne sais même pas où elle est maintenant », souffle Adama. Trois de ses cousins ont également été exécutés.

Depuis, la sidération et l’incompréhension règnent. Le décompte des corps a été fastidieux. « C’était un carnage », résume Issouf Sow, le maire de Solhan, qui comptait environ 5 000 habitants avant les événements. Samedi, les villageois ont dû rassembler et enterrer les dépouilles, à la va-vite, enveloppées dans des nattes de fortune, dans des fosses communes.

Plusieurs sources locales assurent que des hommes armés sont revenus dans la nuit pour piller et incendier le reste des boutiques. Depuis, tous les habitants ont fui, certains en charrette ou à moto, d’autres à pied, pour rejoindre Sebba, le chef-lieu de la province, à une quinzaine de kilomètres. « Les déplacés continuent d’arriver, on n’a pas assez d’abris pour accueillir tout le monde, il y a beaucoup de blessés, le personnel de santé est débordé », rapporte un travailleur humanitaire à Sebba, joint par téléphone. En moins de quarante-huit heures, plus de 1 000 personnes ont afflué dans la ville.

Zone dangereuse

Le choc est immense au Burkina Faso, où jamais un massacre d’une telle violence n’avait été perpétré. Les messages de soutien et les appels aux dons de sang se multiplient. Le coup est dur pour les autorités. Début mai, les forces burkinabées ont lancé une opération d’envergure dans les régions du nord et du Sahel. Le 14 mai, le ministre de la défense Chérif Sy s’était rendu à Sebba. Lors de ce déplacement médiatique, qui devait apparaître comme un symbole de reconquête face à la menace djihadiste, il avait assuré que la situation était revenue à la normale.

Deux jours après l’attaque, de nombreuses questions se posent. Pourquoi le détachement militaire de Sebba, à douze kilomètres de là, a-t-il mis autant de temps à intervenir ? Selon une source sécuritaire sur place, les premières unités sont arrivées aux environs de 9 heures du matin samedi à Solhan, soit sept heures après l’alerte lancée par les habitants. La zone est dangereuse. D’après nos informations, la piste, difficile d’accès, surtout de nuit, et la menace des engins explosifs ont ralenti le déplacement des équipes. Peu après l’attaque, une femme et deux enfants ont été tués dans l’explosion d’une mine sur cet axe.

Selon un habitant de Sebba, des menaces circulaient depuis quelques jours, visant les VDP du coin, qui auraient mené des opérations contre des terroristes présumés. Ces derniers mois, plusieurs groupes d’habitants s’étaient portés volontaires pour défendre leur village. Mais souvent mal équipés et en première ligne, ils sont de plus en plus pris pour cible par les djihadistes.

Vendredi, au moins 14 personnes ont été tuées, dont un supplétif, à Tadaryat, un village dans le nord du pays. La nuit de l’attaque, les VDP de Solhan, « entre 20 et 30 membres », selon le maire de la localité, ont dû se replier, impuissants face aux kalachnikovs des nombreux assaillants.

Charia et impôt religieux

Depuis qu’ils ont commencé à être recrutés par les militaires, début 2020, certains volontaires sont accusés d’exactions et d’outrepasser leur mission. A Solhan, un carrefour minier important, ils « assuraient aussi la sécurisation des sites d’orpaillage », indique le spécialiste des questions sécuritaires Mahamoudou Savadogo. Pour cet ancien gendarme, « l’attaque constitue un avertissement des groupes [terroristes] contre les habitants qui voudraient s’engager comme VDP, et c’est un signe qu’ils veulent prendre le contrôle des mines ».

Plusieurs groupes armés opèrent dans la région, principalement le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, affilié à Al-Qaïda, et l’organisation Etat islamique dans le Grand Sahara. Depuis 2020, les djihadistes y font régner « la loi et la terreur ». Dans certains villages, ils ont imposé la charia et la zakat, l’impôt religieux. « Ils ordonnent de porter le pantalon court et la barbe, les femmes doivent se voiler, ils menacent de couper les mains des voleurs et de fouetter ceux qui commettent l’adultère », décrit un habitant de Sebba, sous couvert de l’anonymat.

La zone s’est vidée des représentants de l’Etat. De nombreux fonctionnaires, conseillers municipaux et enseignants ont dû fuir face aux menaces. « Ceux qui restent sont terrorisés et vivent sous leur joug », rapporte un élu de Sebba, qui compte 18 villages. « Six » sont désormais inaccessibles, assure-t-il.

@Le Monde

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