Tonton David, l’homme qui a mis le reggae français en lumière

La disparition du chanteur français Tonton David, décédé des suites d’un AVC le 16 février à l’âge de 53 ans, fait remonter à la surface des refrains efficaces dont l’artiste réunionnais, auteur d’une série de succès dans les années 1990, avait le secret. Le reggae français, auquel il a donné quelques-unes de ses lettres de noblesse, perd un de ses pères fondateurs.

«Écoute mes textes. Qu’est-ce que tu risques ?» La proposition de Tonton David figure au verso de la pochette de son premier album Le Blues des racailles paru en 1991. Elle reflète le côté direct et spontané du personnage, qui vient alors de faire irruption dans le paysage musical français avec ses dreadlocks mi longues. Son invitation met aussi l’accent sur les mots, car «les paroles sont sérieuses, mais la danse est sans stress», aime-t-il rappeler souvent sur scène.

Ce contraste revendiqué entre le fond et la forme, cette double dimension quasi paradoxale est au cœur du reggae. Le natif de La Réunion, venu au monde en 1967, l’a en lui. À la fois souriant et grave, il sait faire jaillir cette étincelle, à la différence de ceux qui se sont jusque-là essayés aux rythmes jamaïcains devenus populaires dans l’Hexagone depuis la toute fin des années 1970. Cela donne à ses chansons un parfum authentique, sans besoin d’une caution comme celle qui a fait la réussite d’Aux Armes etc. de Gainsbourg.

Marcus Garvey

Arrivé en métropole après avoir quitté l’océan Indien à neuf ans, le jeune David Grammont ne considère pas la musique comme son avenir, même si son père Ray avait signé quelque 45 tours et chantait dans un orchestre réunionnais – il y faisait très rarement allusion, la gouaille n’excluant pas la pudeur.

Son école ? Celle de la rue, de la débrouillardise, de la petite délinquance et de la drogue qui finit par l’envoyer au Centre des jeunes détenus pendant un an, alors qu’il est à peine majeur. Mauvais départ, qu’il évoquait sans gloire et sans détour dans sa chanson CV. Vient alors une forme de rédemption : la rencontre avec les écrits de Marcus Garvey, théoricien majeur du mouvement rasta, qui l’entraîne vers le reggae et ses soirées sound system encore underground à Paris.

Il lui emprunte une de ses idées-forces : «Un peuple sans la connaissance de son passé et de sa culture est comme un arbre sans racines», annonce Supa John en introduction de Peuples du monde, la chanson avec laquelle Tonton David passe de l’ombre à la lumière en 1990. Rien n’est franchement prémédité, de l’aveu de l’intéressé, fortuitement impliqué dans un documentaire télé et qui enregistre son titre pour une compilation qui fait date, Rappatitude, aux côtés d’un groupe qui fait ses débuts : NTM !

Son raggamuffin, comme on qualifie alors son reggae urbain scandé plus que chanté à la façon des deejays de Kingston, fait mouche. Le clip réalisé par le jeune Mathieu Kassovitz aussi, au point d’être parodié par le trio comique Les Inconnus. Verlan, franglais, expressions antillaises se mélangent dans les textes denses de son premier album pour former une langue pratiquée dans l’univers où il évolue, celui d’une France peu à l’aise avec son multiculturalisme et ses jeunes aux origines diverses. S’il en devient un des porte-voix, c’est aussi parce que son message respire une révolte sincère. Sans filtre. En témoigne le refrain de Sûr et certain, autre tube qui suit en 1993 : «Je suis sûr qu’on nous prend pour des cons, j’en suis certain, quelque chose ne tourne pas rond.»

Reggae à la française

Avec l’aide et les précieux conseils du francophile Tyrone Downie, clavier des Wailers de Bob Marley, son deuxième album Allez leur dire poursuit cette entreprise d’adaptation du reggae au contexte français et à son langage, aussi bien dans ses expressions que sur le plan musical. Il n’en est pas l’unique émanation, mais le seul à être autant visible à l’époque. Pierpoljak et Nuttea, qui ont annoncé son décès sur les réseaux sociaux, attendent encore leur tour bien que le premier ait coproduit le projet Assis sur le rythm, posés sur la version auquel Tonton David avait participé en 1988, et que le second ait été l’un des piliers du même sound system.

Sa notoriété, à cette période, s’autoalimente tel un cercle vertueux : il est enrôlé dans la bande des Enfoirés, signe un remix de la chanson Free Demo de Julien Clerc, participe à la bande originale du film Un Indien dans la ville dont est extrait Chacun sa route, cosigné par Geoffrey Oryema et Manu Katché. Avec à la clé plusieurs centaines de milliers de disques vendus.

Ces années fastes touchent à leur fin après son album Récidiviste en 1995. Celui qui s’amuse à mélanger musique et politique pour annoncer sa nouvelle tournée («Tonton récidive à l’Élysée», lit-on sur les affiches de son concert à l’Élysée-Montmartre, faisant aussi allusion au surnom de François Mitterrand) cherche ensuite à faire profiter de son statut la génération montante, qu’il réunit et produit sur l’album collectif Sans limite en 1998.

«Le papa du reggae français», comme le titre le magazine Reggae Massive qui lui consacre sa Une en 2001, se lance dans un album avec le Camerounais Manu Dibango, le Congolais Papa Wemba, l’Algérienne Chaba Fadela. Mais Entre amis ne sera jamais finalisé, à l’exception du single Une vraie démocratie, qui redit l’attachement viscéral du chanteur à une forme de justice. Reconnaissant de lui-même ne pas avoir de grandes qualités de chanteur, il mise sur son écriture, son goût du bon mot, de la formule qui fait mouche.

Loin du showbiz

En même temps qu’il s’écarte – et qu’il soit écarté – du «showbiz», il s’éloigne de la capitale. La vie à la campagne convient plus qu’on ne pouvait l’imaginait à ce père de famille nombreuse, né dans la cité du Chaudron à Saint-Denis. Big up les fermiers, chante-t-il sur son dernier album commercialisé baptisé d’abord Babelou puis Livret de famille.

Dans cet environnement rural, il est à l’aise, que ce soit d’abord aux confins de l’Île-de-France puis, à partir du milieu des années 2000, dans l’est du pays. Le bar en guise de quartier général, le PMU, le foot, et bien sûr la musique qu’il continue de pratiquer avec passion. Sans perdre de vue l’aspect économique de la chose, lui qui se qualifie d'»artiste à responsabilité limitée».

Sur scène, il regoûte volontiers aux sound systems quand l’occasion se présente, pratique les petites salles, se recycle dans les concerts programmés par les collectivités locales. En 2020, il est aussi à l’affiche du Bal des quenelles de l’humoriste polémiste Dieudonné, condamné à plusieurs reprises pour ses propos antisémites. En parallèle, il travaille sur un nouvel album.

En trois décennies, Tonton David a marqué de son empreinte le reggae en France, qui s’est transformé au fil des générations. Il en reste la figure tutélaire, à la fois complexe et attachante.

@Bertrand Lavaine RFI

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