Qui est Ann Hui, Lion d’or de la Mostra de Venise 2020 ?

Début septembre, lors de la 77e Mostra de Venise, la réalisatrice hongkongaise Ann Hui recevra, avec l’actrice britannique Tilda Swinton, un Lion d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Le plus ancien festival international de cinéma honore ainsi l’une des plus grandes figures de la Nouvelle Vague hongkongaise.

À 73 ans, elle deviendra la première femme réalisatrice à recevoir un Lion d’or d’honneur. Et avec elle, pour la première fois, un artiste né en Chine aura cette récompense célébrant une carrière cinématographique extraordinaire.

En Europe, c’est rare d’honorer une réalisatrice hongkongaise. En même temps, il ne s’agit pas d’un signe politique ostentatoire en direction des manifestants pro-démocratie luttant actuellement pour les libertés à Hong Kong. Avec cette prestigieuse distinction, la Mostra de Venise pose un nouveau jalon dans la très longue carrière de cette réalisatrice. Depuis 40 ans, Ann Hui compte parmi les voix les plus singulières et les plus marquantes du cinéma hongkongais. Pour Alberto Barbera, le directeur de la Mostra, elle est « l’une des réalisatrices asiatiques les plus respectées, prolifiques et polyvalentes de notre époque ».

Et pourtant, en dehors des cercles de grands cinéphiles, peu de gens connaissent cette légende aussi vivante qu’humble du septième art hongkongais. Plus qu’une dizaine de fois, elle a remporté les prix du meilleur film ou du meilleur réalisateur lors des Hong Kong Film Awards. Malgré cela, en dehors de l’Asie, sa popularité se situe aujourd’hui à des années lumières de celle de l’actrice Tilda Swinton. Mais toutes les deux doivent une grande partie de leur reconnaissance internationale à la Mostra.

De Hitchcock à King Hu en passant par Robbe-Grillet

L’un des plus anciens souvenirs de cinéma d’Ann Hui remonte à sa petite enfance, quand elle a été marquée à jamais par les images de Rebecca d’Alfred Hitchcock. Cependant, avant d’arriver au cinéma, elle a fait un détour par la littérature. Étudiante en langue anglaise et en littérature à l’Université de Hong Kong, elle était en train de préparer son mémoire sur Alain Robbe-Grillet, le chef de file du nouveau roman, quand elle a été attrapée par le « virus » du cinéma. Et comme il n’y avait pas d’école de cinéma à Hongkong, elle est partie à la London Film School.

En 1975, elle retourne à Hong Kong. Grâce à ses amis londoniens, Hui réussit à contacter King Hu, considéré comme l’un des plus importants réalisateurs du cinéma chinois, pour devenir son assistante. Mais peu séduite par le cinéma d’action, elle accepte une offre de la télévision TVB. C’est là qu’elle forgera son style de réalisatrice, caractérisé par sa passion pour les recherches et son besoin de rester toujours très près de la réalité.

The Secret

Sa carrière cinématographique commence à la fin des années 1970. En 1978, avec The Secret, un thriller mystérieux sur une affaire de meurtre, basé sur un fait réel, elle revendique volontiers son admiration pour les films de Roman Polanski. Ainsi, elle s’inscrit dans la Nouvelle Vague hongkongaise, même si elle déclare  n’avoir jamais travaillé directement avec les autres cinéastes de ce mouvement.

Elle souligne sa singularité avec sa trilogie sur l’immigration vietnamienne à Hong Kong. Pour comprendre la vie de ces réfugiés vietnamiens, victimes de la victoire du Nord communiste sur le Sud en 1975, elle se rend dans les camps pour recueillir leurs histoires tragiques, mais aussi leurs espoirs. Avec les yeux d’aujourd’hui, on pourrait interpréter cette trilogie démarrée en 1978 avec A Boy from Vietnam en passant par Story of Woo Viet, jusqu’à Boat People, en 1982, comme une fresque de la tragédie vietnamienne, mais également comme une allégorie de l’angoisse enfouie des Hongkongais face à la menace d’un retour forcé à la République Populaire de Chine.

Identité et déracinement

La grande force de son cinéma réside dans son traitement des questions sociales et des problèmes politiques sous-jacents. Le questionnement de l’identité et la confrontation et le respect des différences culturelles se trouvent au cœur de sa filmographie.

Née après la Seconde Guerre mondiale, en 1947, à Ansha, en Mandchourie, dans une famille de classe moyenne, elle grandit à Macao avant de déménager à l’âge de 5 ans à Hong Kong. Son père est chinois, sa mère japonaise. La tension inhérente à cette diversité culturelle et identitaire vécue dans sa propre chair, elle l’exprime dans son long métrage Song of the Exile, sorti en 1990.

La perte d’identité et la détresse vécues par sa mère et sa propre expérience d’un certain déracinement se reflètent aussi dans son traitement de sujets comme le respect de la tradition, de l’héritage, de la transmission ou tout simplement de l’humanité au-delà des systèmes politiques ou économiques. Et chacun reste libre d’interpréter la signification de son dernier film, Our Time Will Come, sorti en 2017, où elle aborde les mouvements de résistance dans le Hong Kong des années 1940 contre l’occupation japonaise.

Ann Hui, une grande cinéaste

Dans A Simple Life, Ann Hui raconte l’histoire d’une domestique ayant consacrée toute son existence à trois générations d’une famille à Hong Kong. Mais à la fin de sa vie, c’est elle qui a besoin d’aide. Un drame basé sur l’histoire vraie du producteur Roger Lee et pour lequel l’actrice Deannie Yip remportera en 2011 le Lion d’or de la meilleure interprétation féminine pour son rôle d’Ah Tao. En décernant début septembre à la réalisatrice un Lion d’or d’honneur pour l’ensemble de son œuvre, la Mostra de Venise 2020 persiste et signe : Ann Hui est une grande cinéaste, certes hongkongaise, mais surtout une grande cinéaste tout court.

@RFI

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