«Le crash test est raté» : La victoire de City signe-t-elle la mort du fair-play financier ?

Ce lundi, le Tribunal arbitral du sport a décidé de lever la suspension de deux ans de toutes compétitions européennes prononcée par l’UEFA envers Manchester City pour infraction aux règles du fair-play financier. Un camouflet pour l’instance européenne qui voit son FPF fortement affaibli pour les années à venir. Mais qui ne signe pas encore l’arrêt de mort de son projet de régulation. Décryptage.

Manchester City n’a toujours pas gagné la Ligue des champions, le trophée majeur après lequel courent les propriétaires émiratis depuis 2012 et leur prise de pouvoir chez les Citizens. Mais c’est une sacrée bataille que le club mancunien a remportée lundi. Une victoire juridique, symbolique et médiatique qui pourrait bien changer la donne et avoir des répercussions sur le football européen. Dans un communiqué publié en matinée, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a mis un énorme coup sur la tête du fair-play financier (FPF) en levant la suspension de deux ans de toutes les compétitions européennes infligée à Manchester City le 14 février dernier.

En lieu et place d’une privation d’Europe et d’une amende de 30 millions, les Citizens n’auront qu’à régler une amende de 10 millions d’euros. Des clopinettes pour le géant anglais. Et forcément, c’est du côté de l’UEFA et de sa chambre de contrôle (ICFC) que tous les regards se tournent. Ce lundi, le fair-play financier est-il mort ? «On ne peut pas aller jusque-là mais c’est un beau coup de canif dans le contrat passé entre l’UEFA et les clubs, analyse Maître Granturco, avocat spécialisé dans le droit du sport. Plus on avance dans l’application du FPF, plus on se rend compte que les pourtours juridiques sont contestés et contestables. Manchester City fait encore reculer l’UEFA de manière importante sur l’application de ce texte«.

«C’est un lourd désaveu pour la chambre de jugement de l’Instance de contrôle financier des clubs (ICFC) de l’UEFA, complète Simon Le Reste, avocat chez Reed Smith. Le TAS ne remet pas en question la légalité du fair-play financier, il remet en cause les faits reprochés à Manchester City«. Vulgairement, l’UEFA n’a pas réussi à prouver au TAS que le club anglais avait porté atteinte aux réglementations financières imposées par le FPF. Et ça change tout.

Vraie limite du FPF et faiblesse face aux gros

«Le TAS renverse la ‘charge de la preuve’, détaille Me Granturco. On a toujours été dans la situation où les gros clubs devaient prouver que les contrats de sponsoring dont ils se prévalaient n’étaient pas surévalués. Là, grosso modo, le TAS vient dire à l’UEFA une chose simple : ‘si vous dites que c’est surévalué, prouvez-le’. Et ça change considérablement la manière d’appréhender les dossiers«.

Désormais, c’est à l’UEFA et son organe de contrôle de prouver l’infraction supposée et non plus aux clubs de montrer patte blanche. «On va se retrouver face à une problématique très concrète : jusqu’où peuvent aller les instances de contrôle pour savoir si un manquement a été commis ou pas ?, se projette Tatiana Vassine, avocate chez RMS et administratrice de Sport et Citoyenneté. On atteint là une vraie limite du FPF : comment peut-faire l’UEFA pour accéder à des données qui lui sont externes ?«

A cette question sans réponse s’en ajoute une autre, beaucoup plus grande : l’UEFA a-t-elle les moyens de ses ambitions ? La chambre de contrôle de l’instance va devoir mettre le nez dans des montages financiers complexes où les clubs les plus fortunés, et donc les mieux conseillés, auront tout loisir à imaginer des parades aux éventuelles attaques de l’UEFA. «C’est une vraie question, ajoute Me Vassine. J’ai tendance à penser que c’est une observation constante : plus il y a de moyens, plus il y a de choses mises en œuvre pour s’éviter les sanctions. Pas uniquement dans le sport mais dans la société d’aujourd’hui également. Mais en même temps, seuls ceux qui en ont (aussi) les moyens peuvent contester des réglementations qui ne sont pas conformes au droit. Et cela pour le bénéfice de tous…«.

«Ce qui est intéressant dans la décision du TAS, c’est qu’il note que l’UEFA n’a pas les moyens de gérer des litiges face à des clubs avec des armées de conseils, développe Simon Le Reste. L’organe de l’UEFA chargé de faire respecter le FPF a des ressources très limitées et se retrouve face à des clubs sans aucune limite budgétaire pour la défense de leurs intérêts«. C’est aussi en ce sens que le TAS a changé la donne. Pour City. Mais pour les autres aussi, PSG inclus.

Coup de poker raté

Avec une telle décision, la voie semble indirectement dégagée pour le club parisien. S’il semble trop tôt pour faire ressortir une jurisprudence claire, force est de constater que l’UEFA a perdu son pari. Celui d’un coup de poker face à l’un des clubs les plus puissants financièrement en Europe. City devait être l’exemple. Il le sera mais pas pour les raisons espérées par l’UEFA.

«Jusqu’ici, l’UEFA prenait des décisions parfois difficilement justifiables mais puisque c’était l’entité régulatrice, il fallait se ranger derrière ces décisions, rembobine Thierry Granturco. Jusqu’au jour où quelqu’un n’a pas voulu s’y ranger, à savoir Manchester City, qui contestait l’évaluation de l’UEFA«. Un virage stratégique qui a porté ses fruits. Et qui pourrait en inspirer d’autres.

«Ce dossier constituera un précédent quant à la marge de contrôle des instances de l’UEFA, avance Tatiana Vassine. Si le TAS nous dit que l’UEFA doit ajuster son balancier de sanctions aux preuves dont elle dispose, cela ne signifie pas pour autant qu’un club pourrait délibérément se soustraire à son obligation de collaborer avec l’UEFA et refuser, en toute mauvaise foi, de communiquer quoi que ce soit. Si c’était le cas, le FPF n’aurait plus lieu d’être. Car sans possibilité d’accéder à des preuves matérielles, au-delà de simples éléments comptables qui ne sont pas toujours suffisants, le FPF ne pourra plus être mis en pratique…«

Finalement, le combat envisagé par l’UEFA se solde par une défaite symbolique. «La décision d’écarter City, c’était le premier vrai «crash test» du FPF, c’est-à-dire interdire de participer aux compétitions européennes un club d’envergure européenne aux pratiques longtemps dénoncées et ce, malgré des premières sanctions, conclut Simon Le Reste. Finalement, le TAS considère que les faits les plus graves ne sont pas caractérisés et Manchester s’en sort avec une simple amende. Le désaveu est d’autant plus important que l’UEFA pouvait imaginer que son premier vrai «crash test» interviendrait sur la question de la légalité des règles du FPF devant les juridictions européennes. En l’espèce, c’est l’instance suprême du sport, le Tribunal arbitral du sport, qui considère que le dossier contre Manchester ne tenait pas. C’est donc un crash-test raté pour l’organe de l’UEFA«. Et sans doute un casse-tête naissant.

© Eurosport

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *