«Vues d’Afrique»: ouverture du festival de cinéma africain à Montréal

Le film rwandais « The Mercy of the Jungle » (La miséricorde de la jungle) de Joël Karekezi ouvre ce vendredi 5 avril le festival « Vues d’Afrique » à Montréal, au Canada. La 35e édition du plus grand festival international de cinéma africain sur le continent américain propose 132 films de 45 pays, dont une majorité d’Afrique et des Caraïbes. La section dédiée aux jeunes réalisateurs programme entre autres le premier long métrage de Djibouti fait par une femme : « Dhalinyaro », de Lula Ali Ismaïl. Entretien avec Gérard Le Chêne, cofondateur et président du Festival.

RFI : C’est la 35e édition de Vues d’Afrique. Que représente votre festival pour le cinéma africain ?

Gérard Le Chêne J’espère qu’on a joué un rôle et que le festival a réussi à avoir une certaine importance pour le cinéma africain et a contribué à le faire connaître à l’extérieur. On a présenté plus de trois mille films. Tous les grands cinéastes concernés sont venus et il y a vraiment un intérêt. Il y a 35 ans, ce n’était pas le cas. Les informations de type culturel étaient quasiment inexistantes, en Amérique du Nord en général. Depuis, l’immigration s’est intensifiée, surtout africaine, francophone, du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, et aussi d’Haïti.

Quel est votre public ?

 Ce n’est pas un festival de niche, au contraire. On a fait beaucoup d’enquêtes sur notre public. Les gens originaires d’Afrique ne sont pas majoritaires. Il y a vraiment de la part des Québécois, des Montréalais, une grande curiosité, en bonne partie alimentée par la francophonie. Au Québec, les gens sont assez soucieux que la francophonie ne se cantonne pas à la France et à la Belgique. Le fait qu’il y ait un immense réservoir francophone en Afrique, du point de vue québécois, c’est quelque chose de très important.
Depuis le début de votre Festival en 1985, Vues d’Afrique est jumelé avec le Fespaco. Qu’est-ce que vous distingue du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou ?

Le Fespaco, c’est le plus grand festival africain. Il est né, il y a 50 ans, en 1969, et on a célébré cette année nos 35 ans de jumelage. Dès la première année de Vues d’Afrique – par un concours de circonstances – nous nous sommes jumelés avec le Fespaco. C’est un jumelage vraiment fructueux. Chaque fois, les gens du Fespaco sont à Montréal et nous sommes au Burkina Faso. Nous avons développé des relations professionnelles et amicales. Donc, c’est extrêmement solide. Cela contribue à enrichir la programmation et cela s’étend dans beaucoup de domaines comme la formation, etc. Le Fespaco est quelque chose de colossal. C’est plus grand que Cannes, mais, bien sûr, comme cela ne brasse pas une fortune, on n’en parle pas beaucoup, même s’il y en a 100 000 spectateurs. La ville entière bat au rythme du festival. C’est une cohue extraordinaire. Tout le monde s’en plaint, mais ensuite tout le monde veut y retourner. Nous sommes très heureux d’avoir ce festival un peu comme parrain, comme porte d’entrée sur l’Afrique.

« Dhalinyaro », film de Lula Ali Ismaïl (Djibouti), en seléction Regards sur la releve” au festival Vues d’Afrique, à Montréal. © Vues d’Afrique

Vous avez reçu 500 films dont vous avez sélectionné 132 de 45 pays. Où se trouvent actuellement les pays les plus dynamiques ?

Il y a des pays qui sont vraiment un peu de pôles de production comme le Maghreb, avec des films remarquables, le Burkina Faso, le Sénégal, le Cameroun. Il y a aussi le Rwanda qui prend un ressort assez considérable. Et puis l’Afrique du Sud, le Kenya. De l’autre côté, il y a des pays où il n’y a pas grande chose, par exemple la Somalie ou le Soudan du Sud. Mais, pour la première fois, on a reçu un film de Djibouti et aussi du Soudan. On a reçu aussi des films de pays qui se trouvent dans des situations difficiles, comme la République démocratique du Congo où l’on est vraiment frappé, parce que des jeunes cinéastes et des jeunes producteurs font preuve d’une inventivité et d’une créativité extraordinaires.

Pour les 25 ans du génocide au Rwanda, vous organisez samedi 6 avril une commémoration à la BanQ, la Grande Bibliothèque, avec le documentaire Rwanda après le sang, l’espoir, d’Alain Stanké (Rwanda/Canada). Sans oublier le film d’ouverture, The Mercy of the Jungle(La miséricorde de la jungle), de Joël Karekezi, l’Étalon d’or de Yenenga du Fespaco. Est-ce emblématique pour le rôle que le cinéma peut jouer pour l’histoire et l’identité d’un pays ?

Je dirais que le cinéma reflète la résilience du Rwanda, un pays pratiquement inexistant après le génocide. Là, ce pays s’est redressé de façon extraordinaire. C’était tout à fait logique que le cinéma, après un petit temps de latence, suive cette évolution. Et c’est maintenant qu’il est en train d’éclore vraiment. L’Étalon d’or au Fespaco pour Joël Karekezi le prouve, un cinéaste dont nous avions programmé tous ses films. C’est vrai, on peut dire que quand un pays va bien, son cinéma va bien.

À l’affiche de votre section « Regards sur la relève », il y a le premier long métrage de Djibouti fait par une femme, Lula Al Ismaïl. Dans Dhalinyaro, elle raconte l’histoire d’une jeune Djiboutienne de 18 ans. Les droits des femmes étaient souvent une thématique ici au festival Vues d’Afrique et vous êtes visiblement fier d’afficher pour cette édition une part de 44 pour cent de réalisatrices.

Le Canada et le Québec sont très soucieux de ces questions d’équité et de parité. Au tout début, on avait même organisé des colloques, parce qu’on s’inquiétait que peut-être aucun film réalisé par des femmes nous parviendrait. Et les premières années, il n’y avait pas de réalisatrices. Maintenant, depuis l’année dernière, il y a plus de 40 pour cent de films faits par des femmes. Donc, il y a une évolution considérable.

Gérard Le Chêne, président et cofondateur du festival international de cinéma africain Vues d’Afrique, à Montréal, au Canada.Siegfried Forster / RFI

© RFI