Le vaudou, «liberté pour la vie paysanne»

Nous avançons à la queue leu leu dans l’obscurité, le long d’un sentier éclairé par des torches de feu. J’ai hâte et j’appréhende à la fois d’assister à cette cérémonie vaudou tenue dans un lieu secret, quelque part sur la Côte des Arcadins, au nord de Port-au-Prince.

On arrive enfin au péristyle (temple vaudou) où l’on nous accueille cérémonieusement. Les invités s’installent autour d’un arbre immense aux feuillus de papier vert foncé inondant le plafond du temple; un serpent jaune sorti de l’imaginaire entoure le tronc. Il fait très chaud.

Déjà le décor m’impressionne. L’arbre omniprésent, la force de la vie et ses origines, l’importance de nos racines… Les murs du péristyle nantis de personnages historiques, visages de Blancs, tel un livre ouvert sur l’épopée haïtienne en quête de liberté parmi les tumultueuses invasions du pays.

Puis les sons des tam-tams s’intensifient. Les pas de l’houngan (prêtre vaudou) et des danseurs vodouisants me rappellent les soirs de pleine lune en brousse sénégalaise où j’ai séjourné au début des années 1980.

Certains d’entre nous dansent avec eux. Je ressens un lien très fort avec l’Afrique.

L’âme d’Haïti

Observant la cérémonie, les propos de l’écologiste activiste Winthrop Attié (Winnie), rencontré au Parc national La Visite à Seguin quelques jours auparavant, me reviennent en mémoire.

«Le vaudou c’est ce qui est là, mais que tu ne vois pas. Le vaudou n’est pas une religion, mais veut dire liberté. Liberté pour la vie paysanne. La paysannerie haïtienne maintient le pays. La vie paysanne est l’âme d’Haïti. Le pays est géré par le vaudou. On devrait légiférer le vaudou», d’affirmer Winnie, instigateur de la Fondation Seguin.

La Fondation œuvre à préserver la biodiversité dans le Sud-Est du pays. Arbres et plantes sont essentiels à la survie en milieu rural haïtien. De nombreuses familles paysannes consomment et vendent les produits d’arbres fruitiers et de caféiers.

En outre, les denses forêts d’Haïti recèlent plusieurs plantes médicinales utilisées par les guérisseurs vaudou pour traiter les maux des populations isolées en montagne.

Cette médecine traditionnelle me ramène en pensée au chamanisme de nos communautés autochtones. Un travail de guérison à la fois de l’âme et du corps, car les chamanes conçoivent l’être humain dans sa globalité.

Empathie collective

Les danseurs accentuent leur cadence; les robes blanches tourbillonnent. Certains regards hagards me surprennent. Soudainement, un homme de la troupe entre en transe. Il erre dans l’espace comme dépossédé de lui-même.

Peu à peu, les incantations de ses pairs semblent apaiser l’homme perdu. Ou serait-ce l’intervention de la divinité vaudou, symbolisée sous la forme d’un dessin tracé par les danseurs sur le sol de terre battue. On demeure perplexe.

Ces hommes et femmes vodouisants ont dansé durant quatre heures sous une chaleur écrasante, tandis que les percussionnistes auront maintenu un rythme acharné jusqu’à la fin.

Une empathie singulière semble circuler entre ces danseurs et musiciens, l’expression d’une résilience indestructible. Un réseau de soutien mutuel indéfectible pour vivre et survivre…

Religion, arts et culture

Le vaudou, une religion officielle en Haïti, s’exprime sous de multiples formes spirituelles, mais aussi artistiques et culturelles, partout au pays.

Les croyances vaudou inspirent une multitude d’artistes haïtiens, peintres, artisans, sculpteurs. On les rencontre sur la rue à Port-au-Prince, dans les hauteurs de Kenscoff, en bord de mer à Jacmel, au cœur de Noailles.

Les créations théâtrales haïtiennes, les arts de la danse, l’action sociale témoignent de l’immense influence du vaudou sur la vie de milliers d’Haïtiens au quotidien.

Selon le directeur du Bureau national d’Ethnologie à Port-au-Prince, Erol Josué, artiste reconnu et prêtre vaudou, «on doit éliminer les clichés associés à la riche expression du vaudou en Haïti, la faire comprendre dans une perspective plus élargie, valoriser le transfert des savoirs de l’héritage des Tainos et de l’Afrique vers le Nouveau Monde.»

 

Par Annik Chalifour L’Express www.l-express.ca